C’est en peintre que Corinne Cuenot a commencé son oeuvre, dans l’héritage de son grand-père, puis lors de sa formation à l’ENSBA de Paris. Lors de son installation en Bretagne à Tréguier elle commence la sculpture en se donnant comme outil privilégié le fil de fer qu’elle tord, transforme, tisse ou tricote. Elle y adjoint du fil de lin, de la toile de jute et plus récemment la cire d’abeille.
Avec ce fil de fer galvanisé et dans des protocoles intimes qui sont ceux des « travaux de dame » elle commence logiquement par créer des vêtements féminins robes, bonnets, coiffes, capes. Ces vêtures sensibles elle les installe dans des espaces restreints pour les éclairer afin que leur ombre projetée les dédouble. L’ensemble forme ce que le titre d’une de ses expositions évoque comme Parures éphémères.
Si on a rapproché son travail de celui des dentelières elle se veut sculptrice et a trouvé aussi l’accès à des formes plus naturelles cocons ou suspensions in situ comme ce qu’elle montre au château de la Roche Jagu pour Métamorphose ( voir article en ligne Le naturel et ses imaginaires en quête d’humanité ).
C’est une dimension chargée de spiritualité qu’elle développe au cloître de Tréguier sous ce titre poétique Petits arrangements avec la mort. Jouxtant la cathédrale Saint Tugdual, cet édifice gothique voit trois de ses galeries couvertes occupée par des tombeaux surmontés par des gisants. L’artiste les décrit ainsi :« A plats dos couchés sur leurs vaisseaux de pierre leurs traits s’estompent au fil du temps. ». En effet plusieurs d’entre ces sculptures sont couvertes de lichen qui en rongent les formes.
En entrant dans la travée est on aperçoit suspendu à l’angle un grand cercle tramé de fils de fer qui évoque les attrape-rêves hérités des civilisations indiennes, ce qui ouvre la perspective de l’exposition loin des seules constantes religieuses.
Prenant en compte les identités des gisants l’artiste rapproche symboliquement le monument de l’épouse du chevalier Eon, connu pour son goût du travestissement, du tombeau de son mari en reprenant le même système en suspension.Cette première installation Elévation de Jeanne suggère l’ascention de l’âme.
Un second tombeau est entouré d’un maillage de textes calligraphiés sur un support transparent qui reprennent des phrases recueillies sur des tombes du cimetière de la ville. L’ensemble titré Epitaphe évoque les formules prononcées lors de l’enterrement ou écrites sur les sépultures.
D’autres titres d’installations font référence au dogme catholique comme Renaissance ou Les limbes tandis que de façon plus générale les formes de vie dans leur évolution sont prises en compte avec un titre comme Germination. De même c’est une citation du scientifique Hubert Reeves qui qualifie une autre sculpture : « On m’a dit tu n’es que cendres et poussières. On a oublié de me dire qu’il s’agissait de poussières d’étoile. »
De façon très originale les statues dont certaines composantes corporelles ont été ruinées par le temps voient ces membres absents suppléés par des prothèses habilement tissées en fil de fer. D’autres sont entouréses comme par un linceul d’acier tissé.
Une des oeuvres qui conclut cette déambulation au coeur du cloître dans la travée ouest, intitulée Apothéose prend la forme d’une robe évanescente qui s’élève au dessus du corps allongé pour incarner l’ascension de l’âme ou du corps spirituel.
En opposition dans le jardin trois gargouilles vomissent des figures toujours tissées de fil de fer qui évoquent les menaces de Démons. C’est ainsi toute la vie spirituelle dans ses contradictions philosophiques qui est mise en situation, dans la logique du lieu et de son histoire Corinne Cuénot tisse d’autres liens à la mort qui nous concerne tous, croyants ou non.