Formé à la Famu de Prague, en tant que reporter et cinéaste, Tom Drahos a quitté son pays en 1968. Il poursuit ses études à Paris à l’Idhec.Il est devenu l’un des plus grands plasticiens contemporains parce qu’il a su remettre en question physiquement et de façon sensible la spécificité de la photographie. Il a arrêté cette pratique en tant que telle, il y a cinq ans, considérant le domaine comme envahi par l’imagerie. Il a trouvé dans le cdrom l’outil le plus apte à rendre justice à la diversité de ses pratiques.
Deux expositions marquent ce tournant vers le multimédia. En 1994 « Fragments, d’après Franz Kafka », réunit au Musée d’Art et d’Histoire de Belfort « film, vidéo, théâtre et photographie ». Comme l’écrivait Daniel Dobbels dans le catalogue l’ensemble constitue « Un précipité d’images destituées, d’éléments non représentatifs pelliculaires, collants comme autant d’adhérences. » L’année suivante « Tchekhov Solitudes » s’inspire du Sauvage et de l’Oncle Vania, une publication des éditions nantaises Joca Seria « Une villa en Finlande/carnets » témoigne de ce type de lecture critique multimédia…
Il considère comme un défi de reprendre ainsi les auteurs les plus communs du XIXe siècle, dont les oeuvres restent hors droits, se souvenant que Cézannne déclarait pouvoir peindre des pommes puisque le sujet n’était qu’un prétexte qui avait moins d’importance que la poursuite de la pratique picturale. Il a ainsi travaillé « L’argent » de Zola, « Le journal d’un fou » de Gogol. Il affirme avec un certain optimisme que les gens aujourd’hui en ont assez des produits culturels, des imageries, de la communication rapide, ils ont de nouveau envie d’être seuls. Contre le règne de la transparence,de la légèreté, ils souhaitent des expériences plus longues, plus lentes et c’est la chance du cdrom. Il peut inclure dans cet outil sensible jusqu’à 40 000 écrans en interactivité avec des sons qui rentrent et qui sortent qu’il sample lui-même. Quant aux textes découpés à partir des originaux ils sont lus par des comédiens, dont un ami fidèle Philippe Nottin qui fut autrefois critique et commissaire d’exposition. On se souvient de sa manifestation « Des intrus dans la photographie » qui affirmait une nouvelle génération de plasticiens.
A côté de ce premier corpus, qui relit les chef d’œuvres les plus sombres du XIXe siècle un second nous propose un voyage très actuel dans les plus grandes métropoles internationales, comme pour revendiquer la double nature du support ses qualités littéraires et sa dimension de voyage numérique du fait d’une arborescence riche en parcours diversifiés. Par sa grande curiosité intellectuelle comme par son immense culture mondiale Drahos était le seul artiste capable d’envisager de donner un équivalent numérique à la bibliothèque de Babel imaginée par Borgès. Il s’y attèle depuis plusieurs années en pariant sur le cdrom comme avenir du livre, en s’appuyant sur l’histoire fondatrice de la grande littérature, en la corrigeant par une approche de géographie humaine non touristique. Il nous invite à ce voyage étourdissant, dans la lenteur retrouvée de la lecture d’écran à écran, dans la mixité des pratiques photo et texte, pour une nouvelle jouissance de lire.