Soleil d’automne, satisfaction habituelle, marché en hausse sans doute, public au rendez-vous, tous les indicateurs sont bons, bref c’est une belle journée d’octobre 2007.
De la Fiac au Grand Palais, il n’y a rien à dire d’autre que les choses habituelles, beaux stands, belles pièces. On poursuit le travail, on débite la grande carcasse de l’art juste encore tiède pour avoir des frissons devant le sang à peine coagulé.
De la Fiac au Carré du Louvre, on peut dire autre chose. En fait on peut « voir » ou « lire » ce qui est montré comme une coupe dans le cours finalement si lent du temps vite. Le cru 2007 donc est assez unifié ou unitaire et c’est cela qui surprend, les thèmes ou les sujets des œuvres qui ont été retenues pour être exposés.
Sans doute l’histoire est-elle impossible à écrire, l’histoire des éléments implicites et explicites qui orientent des décisions et permettent de choisir. Mais on peut peut-être remonter ce chemin obscur en regardant simplement ce qui est montré et en l’interprétant.
Certains thèmes sont donc récurrents et, plus que récurrents, ils sont englobants. Nous en avons identifié en gros cinq : les problématiques urbaines, la mise en scène de « soi », comme individu ou élément d’un groupe quelconque, le jeu d’aller-retour entre peinture et photographie, chaque pratique empruntant à l’autre un peu de son « être » et le lui renvoyant après s’en être servi, le recours aux mots et plus globalement à des bribes de texte dans les œuvres, signe d’un questionnement sur la manière dont le visible et le lisible ne peuvent se passer l’un de l’autre et un questionnement en demi-teinte sur la violence qui est devenue le mode de gouvernance général de la planète terre.
Ce qui surprend, c’est en fait le traitement pour l’essentiel véritablement très soft de toutes ces questions. C’est que ces œuvres sont en général non pas métaphoriques, c’est-à-dire tendant à nous faire comprendre quelque chose de complexe par des moyens qui en forment une synthèse, mais littérales et spéculaires, c’est-à-dire tendant à réfléchir la réalité, comme si le fait de la montrer avec simplement un léger décalage suffisait à nous faire percevoir et comprendre cette réalité, ou mieux encore à nous la faire aimer.
Mais cette petite distance, cette petite différence, ce travail de distanciation, n’est pas une tentative d’interprétation. Il ne produit pas non plus de choc. Car pour qu’il y ait choc, il faudrait qu’il y ait synthèse, car seule une synthèse peut nous projeter dans un « nouvel espace mental ». Avec ces œuvres, ce n’est pas le cas. Au mieux peut-on y voir de vagues provocations, des effets bien connus, grossissements, rétrécissements, les vieux trucs illusionnistes que l’on retrouve dans tout ce qui a trait à la vision.
Refléter notre monde que ce soit en un peu plus gris ou en un peu plus coloré ne fait que nous conforter dans l’idée qu’il n’y en a pas d’autre possible et c’est cela sans doute la leçon : l’acceptation. Bien sûr, on pourra arguer que les artistes nous montrent des choses que nous ne voulons pas voir, et de tels artistes existent sans doute, mais ce ne sont pas eux qui sont choisis pour être exposés. Car il y a l’autre, celui qui décide, le galeriste qui ne veut pas effrayer ses acheteurs ou l’institution qui ne veut pas effrayer les décideurs politiques. Certes tout le monde voudrait en savoir un peu plus sur le monde, mais tous ont peur de devoir prendre acte de ce que pourtant ils savent.
Ce n’est donc pas même de la bonne conscience que l’on essaye de vendre, mais du consensus, celui qui lie l’artiste, le marchand, l’institution, le spectateur et l’acheteur dans une même et singulière fascination. En fait, il s’agit d’une fascination inversée, on la nommer fascination négative en ceci qu’elle semble motivée par le désir de voir mais de ne pas savoir, de voir pour mieux ne pas avoir à savoir.
Nous en sommes là et pourtant ces images « disent » des choses, mais c’est à l’intérieur de cette bulle de fascination inverse. Elles nous parlent de nous et elles nous montrent ce que nous sommes, des aveugles volontaires. Voilà qui constituerait un bon exercice, n’est-ce pas, de regarder ce qui nous est proposé comme un jeu sans fin de recouvrement de ce qu’il serait important mais dangereux de montrer ? Dangereux pour qui ? peut-être en reparlera-t-on une autre fois !
Du côté de show Off, si l’on veut tenter de mesurer une petite différence avec la Fiac à Cour Carrée, on pourra en effet remarquer que les choses sont montrées et dites avec un peu moins de douceur consensuelle. Le cul est plus cul, l’urbain plus violent, les mots plus directs. En deux mots les images sont moins sages.
En se promenant dans les deux foires le même jour, on pouvait donc repérer l’existence de cette fascination négative qui est le piège psychique dans lequel nous sommes pris. Non que nous ayons pu voir des œuvres radicales, des images capables de détruire la surface des images et de nous confronter à des informations ou des effets psychiques d’un genre nouveau. Il se trouvait que par le simple décalage, par l’interstice de cette micro différence, on pouvait envisager l’absence, le négatif, le manque.
Nous croyons que nous voulons voir des choses ou des images qui nous diraient la vérité sur la réalité et l’on ne nous donne à voir que des images qui miment celles dont on est envahi dans notre vie quotidienne. On s’aperçoit alors qu’elles sont là, ces œuvres non pas pour nous faire découvrir autre chose ni pour nous rendre le monde plus supportable mais pour mieux nous le faire rater, pour mieux nous tenir éloigner du caractère insupportable qui est sa tonalité absolu aujourd’hui.
Ainsi, la fascination négative est-elle la forme que prend en nous la peur pour être sinon vaincue, du moins évacuée. Et les choix artistiques effectués par ceux qui décident de ce qui est montré ou de ce qui ne l’est pas, n’a pas d’autre fonction, n’a pas d’autre but. Le reste est la folie de l’homme et la folie doit encore et toujours être enfermée. Maintenant les barreaux ont été remplacés par des images de toutes sortes dont il faudrait dire ce que disait Apollinaire dans Marizibill :
« Je connais gens de toutes sortes /
Ils n’égalent pas leurs destins /
Indécis comme feuilles mortes /
Leurs yeux sont des feux mal éteints /
Leurs cœurs bougent comme leurs portes »
6 Novembre 2007