Traversées focus sur le travail d’Alix Sulmont

L’univers d’Alix Sulmont est peuplé de personnages, d’animaux et de chimères fantastiques. À partir du papier, du bois ou de la terre, la main de l’artiste façonne autant qu’elle anime ses créations. Elle développe un vocabulaire plastique et gestuel où elle associe la céramique et l’art de la marionnette à l’art action. Elle cherche des formes qui portent en elles une histoire, un mouvement ou un langage.

Des contenants pour contenu immatériel à l’image des objets qui jalonnent notre mémoire. La mise en jeu de ces objets, est une mise en relation, des rencontres permettant de déployer un vocabulaire plus vaste. Un jeu d’assemblage, de rapports d’échelles et d’interstices qui rendent poreuses les frontières entre réalités et imaginaires. Des brèches qui éveillent notre attention sur la complexité des relations entre les choses.  

Sur le plateau de sa création en cours Le rire des oiseaux, marionnette, objets usuels et délicates sculptures de céramique sont manipulés à vue. Tout un monde miniature prend vie par le travail sonore réalisé en collaboration avec Mathieux Husson. Le traitement électro-acoustique suspend le temps tandis que l’amplification en live du son de certains gestes révèle la fragilité des propriétés de la terre cuite et émaillée tout en participant du caractère onirique de la dramaturgie dont le texte et la parole sont absents. Par l’adaptation visuelle de contes vietnamiens à l’origine de l’écriture de la pièce, le fil de la narration laisse place à une attention portée sur la fugacité de l’instant dédié à chaque tableau vivant. 

Objets scéniques tout autant que sculptures à part entières, les créations d’Alix Sulmont font aisément irruption dans le quotidien de l’espace urbain. Le temps d’une célébration furtive collective, sur le toit du bâtiment investi par le collectif DSXL qu’elle a rejoint il y a deux ans, l’artiste et la marionnette d’une corneille évoluent au rythme du chant basque Egoak porté par huit voix. En écho à la puissance de ce chant polyphonique, emprunt de liberté par le symbole de l’oiseau, répond la beauté et la légèreté du mouvement dans les airs sans plus véritablement savoir qui de l’artiste ou de l’objet articulé, dont on oublie aisément qu’il est inanimé, l’insuffle.

Si nombre des objets que crée Alix Sulmont pourraient aisément tenir dans une poche ou dans un sac de voyage, c’est que le déplacement participe d’une manière active d’habiter l’espace scénique, au même titre qu’un bâtiment ou une ville. Lors de son séjour à Taïwan en 2017, Alix Sulmont rejoint le pèlerinage de la déesse de la mer Mazu. Durant plusieurs jours, elle suit la procession, ressent « la pleine puissance d’une foule transcendée par son but commun et ses aspirations particulières. Par son bruit, ses couleurs, son odeur, sa détermination et son ancrage dans une tradition vieille de plusieurs siècles, ce cortège métamorphose le paysage qu’il traverse ».

Elle est saisie par cette métamorphose de la ville, comment la rue devient le théâtre d’autre chose. Elle prend part aux festivités liées à cette célébration et crée Human Zoo, un géant de bois de six mètres de haut. Cette création engage une énergie colossale portée collectivement, qu’elle recherchera dans d’autres célébrations, une fois de retour en Europe, comme le carnaval sauvage de Bruxelles. En dépit du temps long de construction, l’œuvre dès son élaboration porte en elle sa fin, lorsque tout flambe et tout brûle à la faveur de la nuit. De par sa nature éphémère, elle est tout autant une célébration qu’un acte artistique d’une grande intensité.

Ainsi, tandis que l’Alice de Lewis Carroll dissocie réel et merveilleux, Alix Sulmont cherche dans le réel un ancrage pour le faire advenir. Elle ouvre des brèches dans un réel menacé par la subjectivité collective qui tend à lisser, homogénéiser, simplifier. Qu’elle crée dans l’espace de la boîte noire, perturbe le paysage urbain par le défilé d’une chimère inspirée des danses de Lion, se grime et investisse le mime ou bien encore s’engage dans les activités d’un cabaret clandestin, elle engage, dans le sillon des situationnistes, sa pratique artistique en toute conscience entre culture et contre culture.