« Je ne brode pas, je fais de la couture », précise Anne-Sophie Viallon lorsqu’on s’étonne de la présence de points cousus avec un fil prolongeant, parfois hors cadre, les fragiles silhouettes qu’elle esquisse à la mine graphite, au feutre, au crayon de couleur, ou à l’aquarelle.
D’étranges petites filles ou garçonnets sans visage. Lointaines cousines ou cousins d’Alice au Pays des Merveilles ou des petits diables de la comtesse de Ségur, ces figures surréalistes, réalisées avec une étonnante économie de moyen, captivent notre attention. Et nous troublent.
Motus et bouche cousue ? : « Cette couture, explique l’artiste, est indissociable d’une certaine violence. Il y a l’idée de réparation mentale ou psychique. » Autant de fils discrets qui ourlent une robe, rapprochent deux visages, réunissent des mains, empêchent la parole, mettent en scène l’indicible.
L’artiste convoque aussi bien la mémoire partagée que son propre inconscient et laisse affleurer à la surface ces images hybrides traduisant des émotions contradictoires : « je cherche à tisser du lien entre visible et invisible. » souligne-t-elle. Elle laisse alors ses « visions » guider le dessin qu’elle trace au crayon et à l’aiguille, sur papier, ou sur d’inattendus supports (tapisseries, vieux mouchoirs, draps, taies d’oreiller, tabliers, etc.), réalisant ainsi des compositions mixtes, des assemblages textiles ou des paysages de couture.
Son fil conducteur exige un « un lâcher prise », une humeur vagabonde : « Parfois je pars d’une tache d’aquarelle, sinon d’une photo ou encore d’un motif de tissus, sans savoir où cela va m’amener. » En fait, ses œuvres au charme acidulé, marient grâce de l’innocence et jeux interdits.