La sculpture, médium laborieux, semble a priori très adaptée au geste masculin de l’artiste démiurge (Michel Ange, Rodin). Peu de sculptrices auront en effet marqué l’histoire de l’art (à part Camille Claudel ?). Qu’aujourd’hui des artistes femmes s’approprient ce médium ne peut que nous réjouir.
Claire Deleurme aborde son geste de sculpteure verrière avec la délicatesse et la patience d’une brodeuse : résine, verre, textile, photographie, constituent son répertoire créatif, toujours en mouvement, en harmonie subtile avec la couleur blanche, la transparence, l’opacité rosée. De son oeuvre émane un climat de douceur, comme une réverbération du féminin. La mémoire du corps au travail, la gestuelle de celles qu’on appelait « les petites mains », sont ici invoquées dans une quête généalogique où la sphère intime croise la mémoire collective.
Les titres de ses oeuvres, Les langages silencieux, Ce que pansent les vagues, Transmissions, outre leur résonance poétique, renvoient à la quête d’une vérité qui consiste à broder discrètement autour de cette vérité, précisément lacunaire (secrets de famille, généalogie fragile). En interrogeant les zones d’ombre, Claire Deleurme exhume ce qui fait empreinte et résilience, elle donne la parole aux femmes du passé, aux mains anonymes, brodeuses : elle sculpte, découpe, creuse et recoud des souvenirs de verre et de papier. Dans le projet Les langages silencieux, elle présentera une série de dés à coudre patinés, moulés, contenant un filament rouge : métaphorique, le sang ainsi évoqué discrètement, s’il contrarie la réussite du geste (de la couturière), n’entame pas la beauté de l’objet final (l’oeuvre). La douleur n’éloigne pas la grâce du geste.
Dans Ce que pansent les vagues, l’écosystème sous-marin devient le cimetière passager d’une urne funéraire hydrosoluble, hydrosensible, lorsque l’oeuvre s’ouvre et disperse des débris autour d’un rituel poétique émouvant. On se souvient alors de la sentence, dans la Genèse, selon laquelle … tu retournes dans la terre, d’où tu as été pris ; car tu es poussière, et tu retourneras dans la poussière. Sentence qui résonne comme une injonction à notre finitude.
Loin de toute métaphysique et du pathos mortifère de la religion, Claire Deleurme construit son oeuvre en brouillant les fontières entre esthétique et artisanat (objet utilitaire).
Si on a constaté ces dernières années, ici et là, dans les galeries et les institutions, un succès grandissant de la céramique (oeuvres le plus souvent baroques et narratives), le medium choisi par Claire Deleurme témoigne d’un regard de femme sur toutes les femmes, un féminisme adouci, inventif, qui serait comme la zone blanche de la création contemporaine.