La dimension critique du réseau

Revue d’art depuis 2006

Traversées focus sur le travail de Janna Zhiri

Chez Janna Zhiri le trouble s’avère aussi bien un moteur de création qu’un principe de vie. Il est cet entre-deux, ce pas de côté qui donne sa teneur à des installations traversées par une poétique de l’instable et du « à rebours ».

Bienvenue dans un monde de collisions savamment orchestrées, où des éléments viennent parasiter un univers au premier abord d’une grande séduction, constitué en toile de fond de peintures et pastels aux coloris festifs. Ici une jambe féminine de mannequin dressée comme un trophée, là des objets épars venant s’y greffer comme autant d’indices de fragments à décrypter : un bouquet, une tongue égarée désolidarisée de sa jumelle, des éléments de découpages traînant ça et là.

Les biffures, giclures et autres déjections picturales ou logorrhée (« vomissures de rêve et de fantasmes » ainsi qu’elle les désigne) flirtent avec la douceur sucrée d’une palette au service de bribes de récits et de tout un corpus de motifs et de personnages apparenté à une vaste saga bariolée. 
Car celle qui se dit « histoirienne » affectionne en particulier « raconter des histoires d’amour effronté », que son sens de la formule conforte par ces mots : « Le monde narratif devient sujet à la digression pour un appel à la révolution par le cœur ». De façon flagrante l’amour de l’amour, tout comme l’amour du récit va aussi de pair chez cette artiste avec l’amour des mots. Mots jetés, mots crus, jalonnent ses nombreux écrits à l’origine d’une riche production textuelle. 

Tout un théâtre se dresse devant nous et s’agite pour donner vie à milles anecdotes, entre beauté et âpreté, joliesse et grinçant ; séduction et toxicité, sourires et rictus, où l’envers vaut l’endroit. Derrière ce défilé de personnages échappés d’immenses rouleaux déroulés à même le sol, fruit d’un imaginaire baroquisant, se fait jour l’idée du masque, avec tout ce qu’il convoque, à commencer par son sens premier.

Mis sur la voie par l’étymologie du mot « personne », né du latin persona, lui-même dérivé du verbe personare (qui veut dire « résonner » et désigne le masque de théâtre censé servir de porte-voix), on ne sera pas étonné de voir l’entrée en scène d’un ultime personnage, alter ego de l’artiste et double masculin : Franck Atoutvu. « Franck est mon personnage qui s’exprime par la danse. C’est un dragueur, romantique. Il est resté dans les années 90’s / Il est ma muse quand il n’y a pas de mot…. ». Une invitation à entrer dans la danse et dans l’univers de sa conceptrice à laquelle on aurait tort de résister.