Le dessin comme pratique multiple :
Lignes, composition, cadrage,
Ombre, obscurité, noirs, densité, grain,
En écho à la photographie,
Préparer sa feuille, la couper au couteau à viande,
Recouvrir de noir la feuille, à la main,
Poussières,
Recouvrir de ce noir les pages de vieux journaux…
De vieilles bandes dessinées collectées avec soins…
Puis découvrir, gommer, faire émerger…
Les bardes du papier sont comme un liseré échevelé, le contour flottant du dessin lui-même.
Il n’y a pas de limite, il n’y a pas de frontière, c’est le caractère indéterminé des lieux en suspens qui se diffuse aux espaces alentours. Le dessin opère de manière tentaculaire, déborde sur le mur qui l’environne, s’en empare… Anémone noire, douce et lisse matière sur le grain du rocher.
Dans la mise en retrait de la matière,
Dans la mise en lumière de détails signifiants,
Dans un mode opératoire que l’on pourrait qualifier de zen – tant il évoque la soupe japonaise de Roland Barthes, cuisinée juste, par la présence éparse de ses composants, formant constellation dans un bol.
Retrouver par le geste du retrait des matières adjacentes la ligne et sa puissance dans la forme explosante fixe d’un yucca de station balnéaire ; la truffe de Snoopy évoquée dans le retrait de la matière noire. Interroger les formes récurrentes, les bulles, les boucles, les gouttes… et toutes ces frisettes de dessinateur.
La ligne claire (de la bande dessinée), est questionnée, redessinée puis obtenue par le retrait lumineux de la magicienne, en hommage au trait de la BD des années 60-70.
Le photographe qui met en relief les lignes des espaces grâce à la lumière captée par l’appareil, le sculpteur qui découvre la forme contenue dans sa matière première, la dessinatrice-archéologue qui met à jour la matière même du papier par son geste de recouvrement, d’effacement ou de redécouverte,
Julie comme les réincarnations spirituelles de Walt Disney et Brassaï en conciliabule dans l’ombre et les mystères des aubes ou des crépuscules. Sa pratique à la fois ludique et dansante par son dessin qui se joue des références.
Objets manquants,
Cols de chemises,
Visages obscurs,
Inquiétude,
Je pense à :
Éloge de l’ombre – Junichiro Tanizaki
L’écriture des pierres – Roger Caillots
L’empire des signes – Roland Barthes
Le pas précède ou suit la main,
La marche comme pratique et usage de la ville,
Promenade productive, observer,
Danse / swing / dessin
Dessiner debout, en mouvement,
Les lieux perdus, abandonnés, désaffectés,
Zones périurbaines, chantiers, gares, routes…
Les confins urbains,
Je pense à :
Brassaï – Paris de nuit – livre mythique
La fée électricité, les halos, les reflets,
Les espaces fantomatiques,
La brillance des sols humides,
La texture des ciments et des crépis,
Glaner / glaneuse
Récoltes, récolter
Les objets perdus, abandonnés, oubliés,
Désaffection ?
Ramasser, récupérer, réutiliser…
Accumulation, reprise,
Naturellement, par cette extension de l’espace du dessin, Julie se déplace, et swingue du côté de l’installation qui est dessin dans le territoire et les surfaces orthonormées du white cube.
Blocs de ciment, agglomérats de béton et de goudrons, graviers, chaussures, chewing-gum et surtout poulies pour répartir et déplacer les tensions ; pour qu’elles se mettent à raconter des histoires de dessinateur… Le dialogue en tensions entre les objets, les artefacts collectés sur les lieux des nombreuses promenades. Le câble, la ficelle, la corde comme ligne claire.
Burlesque et romantique,
Mélancolique et joyeuse,
Sportive et élastique,
Broyer du noir n’est pas une activité déprimante et torturée quand elle est pratiquée par Julie Béasse.