Ce sont d’abord des récits qui ont construit l’œuvre de Mélissa Rosingana, des fables qui à force d’être racontées sont devenues des légendes ; des histoires, plus personnelles, qui, à l’inverse, ne se sont jamais dites, recouvertes d’un voile de silence.
Il y avait la mer, les filets de pêche, le sable, les labyrinthes, les écailles dorées des poissons et les queues des sirènes, tout était là dans ses œuvres pour faire du voyage une aventure, tout du moins une exploration poétique. Ses sculptures, dans lesquelles un vocabulaire de formes ouvert s’arrangeait de la facture pour défendre le plaisir de l’expérience et l’intelligence des matériaux, jouaient sur l’ambivalence du périple vers un inconnu qui ici, précisément, n’avait plus rien d’un ailleurs.
Car c’était dans la promiscuité que tout devait se dire, dans les recoins de l’intime et de l’histoire personnelle ou familiale. Et le filet de pêche tressé de plumes de paon (L’orgueil du pécheur) évoquant un attribut lointain à l’étrange magie n’existait que pour dire la fragilité et la vanité des mailles de nos vies. Mais aujourd’hui, c’est comme si ce qui s’exprimait dans ces œuvres, cet appel à sortir du labyrinthe (Dédale), à outrepasser les conditions de chacun, comme si, en un infime fragment de temps, tout était advenu. Et nous sommes-là à présent à tenter de circonscrire un travail artistique bâti sur une libération et qui grandit de ne pas trop se définir par un programme.
Parce que la production récente de Mélissa Rosingana est conduite par cette détermination d’ouvrir de nouvelles voies, de renverser le regard du personnel vers le collectif, de l’intime au partagé. Il y a des non-dits qui persistent mais on apprend à faire avec et, les deux pieds dans les années 2020, on s’occupe plus qu’avant de savoir ce qui fait la nature de notre rapport au monde.
Ré-interrogeant sa pratique de sculpture, ré-examinant son besoin compulsif de collectionner, de produire, de conserver et de stocker, l’artiste choisit de quitter la sédentarité pour embrasser le monde, poussée par la nécessité de s’y inscrire autrement.
Et derrière sa dernière production Sans titre (2021), se cache plus qu’une œuvre ou qu’un outil : un remède. Conçu, dessiné, construit, c’est un espace mobile de 7m2 qui s’est imposé à elle, un atelier sans fondation qui se pose là où le désir le mène pour faire avec ceux qui s’y trouvent. Un espace contraint et libre qui provoque de nouveaux gestes et de nouvelles manières de voir (le don vaut le stock). Au cœur du village, quand l’atelier se pose, c’est alors la parole qui fait œuvre, autant que les tisanes, les cueillettes de plantes, la fabrication d’encres végétales, de jardins aromatiques… Il s’agit d’investir l’espace public, d’y affirmer une disponibilité, afin d’y penser les termes d’une nouvelle présence à l’autre. Il y a cette ambition un peu folle dans le travail de Mélissa Rosingana, ce désir absolu de penser l’art comme un commun à activer quotidiennement.