Traversées focus sur le travail de Nicolas Gagnaire

Nicolas Gagnaire est peintre et cette nécessité fait face, frontalement, à la difficulté d’être au monde. Peindre devient un mouvement primordial de recommencement, le seul qui demeure encore du domaine du tangible, de la certitude. Bien que son travail artistique soit jalonné par un temps d’arrêt de sa mise en vue, l’artiste a tenu vivant cet engagement, depuis 2007 (l’année de son diplôme à la Villa Arson).

Les tableaux de Gagnaire sont instables, en ce sens qu’ils sont aventureux, convoquant de toiles en toiles des factures ou des manières parfois éloignées. Cette approche exploratoire de la matière s’articule souvent au geste direct et définitif de déposer sur la surface tantôt une grille, tantôt une forme géométrique plus ou moins régulière en à plat. Cette dialectique du mouvant et de l’architectonique fait système et structure chaque œuvre pour établir un équilibre dont la réalité même se fonde par le maintien d’une certaine précarité. 

La seconde action sur la peinture, qui consiste à recouvrir ou à oblitérer partiellement, peut apparaître aussi comme un geste de soulèvement du sens faisant parfois affleurer une figure ou une écriture. Dans sa quête de faire surgir ce qui dans la peinture persiste, l’artiste compose avec des récurrences significatives et en particulier avec la croix ou le croisillon, oscillant entre les étoiles et la répétition du point d’intersection des lignes d’un quadrillage.

Dans l’œuvre de Nicolas Gagnaire, la capacité que la croix a de se dilater ouvre sur une pluralité de niveaux d’interprétation : 
C’est le motif rassembleur de l’histoire de la peinture abstraite (Sans titre, 2019- Acrylique sur toile – Châssis aluminium, 170x130cm).
C’est le signe patriotique et autoritaire que l’on retrouve dans l’agencement de beaucoup de drapeaux (« Le gris de vert »
souvenir de Budapest, 2021, Acrylique mat sur toile enduite sur châssis aluminium Artel, 107 x 80 cm).
C’est la lumière/fantôme évoquée par Merleau Ponty dans une toile à la Philip Guston (Sans titre – 2020 – 2021, 
Acrylique mat sur toile enduite sur châssis aluminium Artel, 62 x 78 cm).
C’est aussi peut-être, plus symboliquement encore, les lucioles évoquées par Georges Didi Huberman et qui pour Pier Paolo Pasolini sont les lueurs survivantes de nos résistances. (Langue des signes : Que faire ?, 2018 – 2021, acrylique mat sur toile enduite sur châssis aluminium Artel, 130 x 90 cm).

Cette prolifération organise la surface et fait se tenir ensemble parfois les éléments hétérogènes de la composition. Si les croisillons construisent la peinture, ils se meuvent aujourd’hui en une concrétion fertilisante qui participe d’un dépassement de la dichotomie du fond et de la forme. La ligne se faisant plus sinueuse, affleurent alors des résilles grouillantes comme dans un grand diptyque récent où la vitalité des nabis remonte à la mémoire ou comme dans l’hommage au Saint Georges d’Uccello dans lequel la construction savante de la toile se transforme en filet alvéolé dégagé de ténèbres. Être attentif à ce qui, dans l’œuvre des autres, fait retour, devient alors une manière pour l’artiste de ne pas échapper à ses propres gestes. Nicolas Gagnaire s’arrime au postulat selon lequel « dans la peinture, tout est visible ». La toile, comme une éponge, contient à la fois son image et l’épaisseur des couches qui l’ont formée. Faire peinture revient alors chez l’artiste à témoigner de cette insubmersibilité du visible, à son inextinguible présence.