Traversées focus sur le travail de Nicolas Meusnier

Après un parcours littéraire et théâtral, c’est aux beaux-arts de Bordeaux que Nicolas Meusnier oriente sa pratique vers la performance. Ses années de formation artistique constituent tout autant un espace d’expérimentation de l’objet performatif que d’exploration introspective donnant lieu à la création de Sitcom, un premier solo à la frontière du théâtre et de la danse. Il y pose les jalons du travail qu’il développe actuellement par l’autofiction, autour de récits familiaux, amoureux et intimes aussi bien vécus que fantasmés. 

Seul en scène, à chaque nouvelle « exposition », l’artiste retraverse la période allant de son enfance à l’adolescence. Il incarne, autour de la table familiale, aussi bien son propre rôle, que ceux du père, de la mère, de la grand-mère, du frère, ou encore de la sœur. Sur ce terreau complexe et singulier de la cellule familiale à caractère rural pour qui, bien souvent, raconter sa vie est impudique, il superpose les codes de la sitcom américaine. Confrontant ainsi les deux registres, il pousse à l’excès le jeu de la comédie de situation pour mieux toucher aux fondamentaux du rapport à la famille dans la construction de l’identité de soi et l’émancipation sexuelle.

L’élément scénique central, la table, devient un espace symbolique où les conflits et rassemblements naissent. Elle devient aussi bien le ring d’une violence ordinaire que le radeau auquel s’accrocher pour ne pas perdre complètement pied. Au-delà de l’entrelacement achronique de souvenirs réels et de ceux qui relèvent de la fiction, tout l’enjeu artistique se situe dans la réitération de l’acte performatif. D’une représentation à l’autre, tout en conservant une dramaturgie établie, l’artiste ré-agence en direct les situations, faisant de la scène le lieu d’une catharsis personnelle au même titre qu’un espace de représentation des rituels et normes qui régissent notre société. 

Actuellement en cours de création d’Heartbreakers, Nicolas Meusnier pousse le curseur de ce second opus qui reprend là où Sitcom s’arrêtait. Dans cette traversée de l’adolescence à l’âge adulte, il explore les ressorts de la dépendance affective et sexuelle. La table cède la place à un cercle de chaises vides d’un groupe de parole fictif, et l’univers du sitcom à la comédie musicale. Tout en reprenant les artifices de Broadway (strass et paillettes, lumière éblouissante), il ré-interprète avec un musicien au plateau des couplets ou refrains tirés de chansons de variété française écrites par des hommes pour des jeunes femmes évanescentes (Françoise Hardy, Barbara, …) autour de la question du désir et de la déception amoureuse, qu’il juxtapose avec des récits et scènes volontairement crues.

Bien que partageant par l’exploration de l’intime nombre des préoccupations des artistes réunis par Isabelle de Maison Rouge dans l’ouvrage Mythologies personnelles : L’Art contemporain et l’intime, Nicolas Meusnier opère tel un contre-archiviste de sa propre histoire, en comblant les non-dits, vides et manques par la fiction. Cela passe par un travail conséquent d’écriture qui allie à un style proche de l’oralité populaire, un registre plus soutenu voire lyrique pour une publication à venir réunissant la matière textuelle de cette saga personnelle.