L’univers de Nora Barbier touche autant à l’écrit qu’aux images, à mi-chemin du réel et de la fiction, de nature toujours onirique. La fabrique des récits, volontairement diffractés, s’élabore chez elle au moyen de l’œil complice de la caméra et s’attache à des moments de l’existence en suspens ; bribes de vies partagées avec d’autres, d’où se dégage un type de relations faites de vibrations, d’attraits et par dessus tout d’une liberté inconditionnelle d’être soi.
Habitée de longue date par l’écriture, la lecture, mais aussi par le cinéma, l’artiste s’affranchit d’un espace autobiographique forclos sur lui-même pour tendre vers l’expression d’une force de l’intime. Son film Les Yeux bleus cheveux noirs (2018), librement inspiré de Marguerite Duras, joue de ces composantes. Préférant la rumeur nocturne de Shanghai à une trame narrative, sa caméra s’approche au plus près de son personnage central pour nous en livrer comme le bruissement, l’accompagnant à pas feutrés dans sa déambulation spontanée et impulsion à être (jouer d’un effet de chevelure d’une perruque arborée, s’absorber dans une séance de maquillage face au miroir, danser au débotté sur le macadam luisant…).
Un art de l’interstitiel présent dans Nora Decima Morta (2020), et son jeu de caméra en ouverture, parcourant les nuques et chevelures des trois protagonistes en un éloge de la sororité, superposé à l’écoute d’un texte. Comment ne pas percevoir dans ces vagabondages la magnifique exhortation de Duras à une immersion : « Lisez tout », écrivait-elle à la presse. « Lisez toutes les distances que je vous indique, celles des couloirs scéniques qui entourent l’histoire et la calment et vous en libèrent le temps de les parcourir. Continuez à lire et tout à coup l’histoire elle-même vous l’aurez traversée, ses rires, son agonie, ses déserts » 1 ?
1 Marguerite Duras, lettre à la presse à propos de Les Yeux bleus cheveux noirs , http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Les_Yeux_bleus_cheveux_noirs-1609-1-1-0-1.html