A Orléans la collégiale Saint Pierre Le Puellier diversifie sa programmation en déléguant l’organisation d’expositions à des galeries aussi différentes que celle de Magda Danysz ou aujourd’hui à la galerie Capazza située à Nançay en Sologne. Laura et Denis Capazza-Durand ont invité trois des photographes qu’ils représentent dans un dialogue d’images esthétiquement fortes. L’accrochage sobre joue habilement avec la puissance de l’architecture.
Les trois artistes sont liés à la région Centre Val de Loire . Jérémie Lenoir est doublement diplômé de ses études artistiques à l’ESAD dOrléans et à l’école polytechnique de Tours. Les deux autres photographes y résident , Eric Antoine s’y est installé après une remise en question vitale de sa pratique suite à la perte de sa première épouse. Robert Charles Mann né aux Etats Unis y a suivi des études d’astronomie, de photographie et de composition de musique contemporaine. Devenu l’un des tireur des plus recherchés, il assiste Herb Ritts et collabore avec Helmut Newton, Mary Ellen Mark, Peter Lindbergh… En 1989 il s’installe en France dans le Loir et Cher , l’an dernier il a été en résidence au domaine de Chaumont sur Loire.
Si le rendu de ces oeuvres les relie aux pratiques de la photographie directe elles ont en commun d’être produites par des protocoles singuliers qui en constituent toute la différence. De façon systématique Jérémie Lenoir prend ses photographies au moyen format depuis un avion qu’il fait stationner à une hauteur constante. Il sélectionne soigneusement ces sites qu’il survole comme autant de ce que Marc Augé appelait des « non lieux ». Cette posture stricte provient des créateurs de l’école de Dusseldorf, mais elle révèle aussi son intérêt pour des peintres plus classiques comme Tapiès ou Soulages. En effet ses images en effaçant les repères d’échelle flirtent avec l’abstraction. La transfiguration du réel paysager qu’il réussit est rendu éclatant par ses rendus des matières qui le composent avec une sensibilité de coloriste. Les légendes qui précisent la nature du lieu cliché redonnent du réel il est dommage qu’elles aient été retirées de cet accrochage.
Robert Charles Mann utilise un antique sténopé, un appareil sans objectif composé d’une boite circulaire dotée d’un trou par lequel la lumière vient toucher le papier photo. Il installe ces sténopés dans la nature et laisse la lumière pénétrer tout au long d’un solstice. S’il intitule sa série Solargraph c’est que ce qu’il enregistre pendant six mois c’est la course du soleil dans une courbe colorée. Il a installé une vingtaine de ses boites aussi bien en Californie que dans les environnements paysagers du domaine de Chaumont sur Loire. L’interprétation colorée qu’il en donne est finalisée dans son laboratoire grâce à sa maîtrise parfaite du tirage.
Même si ses images peuvent apparaitre les plus classiques Eric Antoine constitue pour moi la révélation de cette exposition. Il utilise à la fois une chambre équipée d’un objectif ancien associée à la technique ancienne du collodion humide. Il produit ainsi des ambrotypes sur verre, technique primitive concurrente à l’origine des daguerréotypes. Cette image fragile est scannée pour la réalisation d’un tirage sur un papier préparé. Sa rigueur protocolaire s’applique aussi à ses livres. Le premier d’entre eux un sublime travail de deuil en hommage à sa première femme décédée très jeune portait ce titre poétique d’une grande puissance Ensemble seul. Dans cet ouvrage les noirs dominent. Le second livre dont sont extraites un certain nombre des oeuvres ici exposées est titré Useful Lies. Les gris qui y dominent sont un peu moins denses. Les trois livres à venir vont poursuivre cette progression vers des valeurs plus claires jusqu’au blanc. La matière de ses tirages exalte la présence des éléments forestiers comme des fugaces figures corporelles.