Ukraine, vision(s) : photographies et textes de l’agence MYOP

Suite à la publication du livre « Ukraine, Fragments » en 2023, regroupant six photographes de MYOP, l’agence a engagé une exposition collaborative avec les écrivains, auteurs et autrices du PEN Ukraine. D’abord présentée à la Gaité Lyrique à Paris, cet ensemble photos-textes « Ukraine, vision(s) » est accroché jusqu’au début mars 2025 dans le bâtiment de Champs Libres, architecture de Portzampac, installé dans le centre de Rennes.  

À côté du programme d’événements et d’expositions Stand with Ukraine initié par le réseau Diagonal et ses membres en association avec le festival Odessa Photo Days avec le soutien financier du ministère de la Culture et le partenariat de l’Institut français, de l’ADAGP et de la SAIF, les deux publications de MYOP et cette exposition constituent un beau soutien au pays envahi par Poutine et à ses créateurs.

MYOP est une agence française qui défend une photographie documentaire engagée et subjective. Leur nom est inspiré d’un poème de Paul Éluard : « Mes Yeux, Objets Patients, étaient à jamais ouverts sur l’étendue des mers où je me noyais. Enfin une écume blanche passa sur le point noir qui fuyait. Tout s’effaça. ». Leurs deux livres sont publiés chez Manuella Editions. L’ensemble des bénéfices de l’édition et de l’exposition sont reversés à l’association locale NGO YES, basée à Zaporijjia. 

Ukraine Fragments fait suite à une campagne de prises de vues d’un an pour donner un variée de la situation mêlant des portraits en situation, des scènes plus apaisées et la violence du conflit au quotidien. S’ils ont demandé une préface au jeune écrivain Olkesandr Mykhed, Michel Slomka qui a coordonné la publication, déclare que c’est « pour sa manière décalée, un peu plus légère de parler de la guerre tout en disant des choses très fortes et très dures sur ce que les populations sont en train de vivre ». 

Dans la continuité de leur action militante, mais avec une ambition plus grande annoncée par le titre Ukraine, vision(s) ils produisent cet ensemble photos et textes pour composer « un langage organique circulant à travers les formes pour inventer un art documentaire et poétique de la résistance »

La question essentielle ici posée : Que peuvent les images et les mots en temps de guerre ? Ce que le même Oleksandr Mykhed reformule ainsi : « Cher Adorno, nous avons trouvé la réponse à ta question : « L’art est-il possible après Auschwitz ? ». Mais aurais-tu trouvé la réponse à celle-ci : « Les mots sont-ils possibles après Boutcha ? » 

Et dans un autre texte, il complète ce ressenti de ses compatriotes : « Nous sommes tous restés sous les décombres du théâtre de Marioupol. On nous a enterrés à Boutcha. Les morts ne souffrent plus. Les vivants ne ressentent plus. » 

L’image de l’affiche montre une séparation avec des protagonistes des deux côtés de la vitre d’une voiture en partance loin du conflit. Pour illustrer les portraits d’enfants saisis sur le vif, on peut leur donner pour légende cet extrait d’Anastasia Levkova : « Oui, dans la construction de sa personnalité, la relation avec papa est telle une brique : si on la retire, il reste un trou béant. Et, si papa est à la guerre, la brique est à sa place, mais elle est toujours sous la menace de l’alerte aérienne. » 

Le bouleversement de l’espace de vie est très évidemment illustré par ce panneau routier aux noms de villes caviardés de noir. Lui répond ce poème d’Iryna Tsilyk :
« QUELQUE PART DU CÔTÉ DE DONETSK
Je sais comment hurlent les routes dans la zone rouge : 
Estropiées, balafrées par les véhicules militaires, 
Elles ploient sous la force brute des roues étrangères, 
Mais ne peuvent pas ne pas siffler entre les dents 
Leur haine. »

Pour entendre l’importance des vues des maisons désertées et des cimetières sous la neige, on peut relire ce texte essentiel d’Ostap Slyvynsky
« LE SILENCE DE LA GUERRE
Les mots de la guerre : camps de filtration, bombardements, alertes, caméras thermiques, plaques pare-balles. Les mots de la guerre : résister, repousser, libérer, reprendre les territoires occupés. 
Quand il y a des mots, c’est déjà bien. Même ces autres mots, les mots des autres, ceux avec lesquels ils essaient de nous détruire. Car, par les mots, ils se dévoilent et deviennent par là même vulnérables face à nous. Si tu veux tuer, même avec un mot, il faut te mettre à découvert comme un tireur qui sort de son embuscade, et pendant ce court instant, tu deviens une cible. » 

Les membres de l’agence concluent « En temps de guerre, les images et les mots sont parmi les premières victimes. Incapables de s’opposer aux armes, impuissants à changer une réalité que la violence disloque sous nos yeux, ils semblent entièrement dépossédés de leur puissance d’agir ». Une telle initiative éditoriale et de monstration tente de leur redonner du pouvoir.

Exposition Ukraine vision(s)
Champs libres, Rennes
Toutes les informations sur le site des Champs Libres

Ukraine Fragments 
Ouvrage réalisé en coédition avec ABM Studio
Avec un texte d’Oleksandr Mykhed
Photographies de Guillaume Binet, Laurence Geai, Zen Lefort, Chloé Sharrock, Michel Slomka, Adrienne Surprenant
35 euros 
ISBN : 978-2-490505-53-1
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