Un conte documentaire à l’écoute des traditions bretonnes

Stéphane Lavoué, né à Mulhouse en 1976 réalise de nombreux portraits de commande, tandis que ses séries personnelles sont l’occasion d’affirmer un rapport singulier au monde .Il a collaboré dix ans avec le quotidien Libération, et intégré l’agence MYOP en 2006, en 2018 il est lauréat du Prix Niepce, décerné par Gens d’Images. Les éditions 77 qui ont publié son premier ouvrage « The Kingdom », sortent en ce début d’année « Les Enchanteurs », un livre produit par Les Champs Libres/Musée de Bretagne de Rennes montrant une série réalisée dans les Monts d’Arrée sur les survivances de l’imaginaire légendaire breton.

Ouvrir ce livre c’est transgresser la menace formulée en lettre d’or sur la couverture, si l’on hésite la quatrième de couverture rappelle le nom de l’auteur et le titre Les enchanteurs, tandis qu’en bas de page une image sombre évoque ce paysage vu de nuit que l’on comprend être celui du lieu lourd de menaces les marais de Yeun Elez.

Le livre fait alterner des vues paysagères horizontales et des portraits en pied verticaux. Ce qu’il a organisé aussi mais de façon moins systématique pour la série A terre ! dans le cadre du projet La France Vue D’ici, piloté par l’association Cetavoir et Médiapart (Livre publié aux Editions de La Martinière).L’intérêt de cette série est le léger décalage de parallaxe qu’il opère pour donner une image de l’univers de la pêche sans partir en mer. Il intervient dans les chantiers navals, les forges marines, les ateliers de marée, les conserveries pour mettre en lumière ces hommes et ces femmes qui font vivre cette industrie.

Dans ce dernier livre les purs paysages saisis dans ces images nocturnes saturées alternent avec des vues serrées comme un lit clos, ou les matières d’une fontaine primitive ou la dernière image qui entretient vivant ce feu celui d’une forge. Quelques rares paysages verticaux fonctionnent en diptyque avec des portraits quand la majorité de ceux—ci manifestent leur force singulière en bonne page avec une respiration en page de gauche. Chaque personnage est légendé en fin d’ouvrage par son prénom, révélant la confiance et la synergie que le photographe partage avec ses modèles. Un de ces premiers dialogue d’images confronte une vue de Yeun Elez avec un immense tatouage représentant l’Ankou, ce messager de la mort, sur le dos d’un certain Greg torse nu dans une église !

En effet comme l’a constaté Fabien Ribéry dans son blog Lintervalle :
« Le regard de Stéphane Lavoué n’est pas strictement documentaire, qui procède d’abord d’une capacité à élargir le fait social jusqu’à la dimension du mythe. » L’ensemble des portraits semblent d’une autre époque, les visages émergent de la pénombre d’un intérieur et leurs traits sont burinés par le traitement numérique qui les gardent dans une esthétique photographique tout en regardant vers un certain rendu pictural. Curieusement on hésite pour attribuer un caractère humain à une sculpture grandeur nature de Hahnes Münz, légendée elle aussi par son prénom Estelle.

Ses modèles exercent des métiers singuliers, Marion Gwen « la sorcière »,Yves producteur de kombucha cette boisson aux vertus thérapeutiques, Yann géobiologue et sourcier, Xavier forgeron ou Youn Amis ce druide, saisi en contre plongée le seul à poser en extérieur dans une autre atmosphère, tout vêtu de blanc sur le fond lourd d’un ciel d’orage. Deux autres protagonistes sont en contact direct avec la nature sous la forme de l’eau, Benj en contemplation face au cours de l’Ellez , et Nathalie se baignant nue dans la rivière Saint-Rivoal. L’enchantement de la vie y triomphe.

Le livre est complété par le témoignage de l’auteur en quête des traces actuelles de l’Ankou, un texte d’Anatole Le Braz (1859-1926) extrait de La légende de la mort folkloriste de l’imaginaire breton dont Stéphane Lavoué veut reprendre le flambeau et Céline Chamas conservatrice du Musée de Bretagne, la commanditaire qui lui a donné les moyens de réaliser cet ambitieux projet. Cet ensemble constitue un fort témoignage des survivances imaginaires dans une approche de fiction documentaire qui flirte avec le mythologique.