Le livre apparait sévère dans sa réserve grise sur fond noir qui dessine la silhouette dentelée d’un bâtiment que le titre ne définit que comme « L’ouvrage », l’auteur désigné Blaise Perrin est photographe. En pages de garde la reproduction de nombreuses pages de journaux nous laissent entendre que ce bâtiment est assez exceptionnel pour avoir suscité de nombreux articles. L’éditeur La Fabrica est madrilène, son livre à couverture cartonnée est composé de deux cahiers de photographies couleurs pleine page avec au centre un ensemble de trois textes. Le premier était affiché à l’intérieur de la construction que l’on découvre comme une cathédrale singulière puisque construite par un seul homme pendant près de cinquante ans.
Ce premier texte servait au bâtisseur à ne pas perdre de temps en vaines paroles avec ses visiteurs en s’appuyant sur des difficultés à parler du fait de son aphonie. « Je m’appelle Justo Gallego. Je suis né à Mejorada del Campo le 20 septembre 1925. je suis entré à l’âge de 27 ans au monastère de Santa Maria de la Huerta, d’où je fus exclu parce qu’atteint de tuberculose, par crainte de contamination du reste de la communauté.
De retour à Mejorada j’ai décidé de construire, sur un terrain de labour appartenant à ma famille, une œuvre à offrir à Dieu. Il n’existe pas de plans du bâtiment, ni projet officiel. Tout est dans ma tête. Je ne suis pas architecte, ni maçon, je n’ai aucune formation en rapport avec le bâtiment. »
Cette oeuvre singulière à laquelle il a consacré tout son temps et toute son énergie l’a occupé pendant plus de cinquante ans, en recyclant des matériaux de récupération. Blaise Perrin alors en résidence à la Casa de Velasquez a décidé de se mettre au service du projet en travaillant pour l’édification en échange de l’autorisation de faire ses images.
Le premier cahier d’images s’attache au work in progress du chantier photographié dans la pénombre où il se développe. On y reconnait des éléments et matières de construction, ainsi que la silhouette du bâtisseur dont on ne découvrira le portrait qu’un peu plus avant dans la publication.
L’ensemble révèle une vraie proximité et même une réelle intimité au lieu en évolution. On y découvre aussi bien les briques de terre cuite, qu’une statue une charrette ou le vélo de Justo Gallego. Chaque motif est centré dans un rayon de lumière qui le fait émerger de l’ombre environnante occupant la plus grande partie du tirage.
Au coeur du livre au texte du photographe répondent un texte littéraire du poète Lyonel Trouilot et une étude de Graciela Garcia Munoz, spécialiste de l’art brut « le moine sans abri et son ex voto démesuré » . En effet on est tenté de rapprocher ce projet de celui des bâtisseurs singuliers. S’il en diffère c’est dans la dévotion religieuse qui l’anime autant que dans la ré-appropriation d’un modèle prestigieux comme celui du dôme de la basilique Saint Marc à Venise. Deux images pleine page montrent la dentelle de ce toit silhouetté sur le ciel nocturne. D’autres images au format paysage répartissent les sources de lumières trouant le fond obscur du lieu en autant d’échappatoires célestes. La dernière image montre le religieux les mains dans les poches comme si sa mission était accomplie, qu’il ne restait plus qu’à des passeurs comme Blaise Perrin et son éditeur de faire connaitre ce secret partagé de cette basilique sans équivalent.