Nous avons découvert la photographie chinoise en France grâce aux Rencontres d’Arles dès 1988 avec la grande exposition, programmée par Claude Hudelot, sur un commissariat de Karl Kugel, puis en 2003 dans une sélection qui s’appuyait sur le Festival de Pingyao. D’autres collaborations ont eu lieu depuis 2015 avec Jimei x Arles. Gu Zheng, professeur de journalisme à l’Université de Fudan à Shanghai, critique d’art spécialisé en photographie et commissaire d’exposition a sélectionné 62 artistes emblématiques de cet art pour le livre de grand format « La photo chinoise contemporaine » publié par les éditions Eyrolles.
Cinq grands chapitres structurent l’ouvrage , ils s’organisent ainsi
« Urbanisation et mondialisation
Pouvoir, espace et mémoire
Genre, corps et identité
Dialogues avec les traditions
Zones limites et marginalité »
Dans la préface l’auteur rappelle d’abord la période d’influence idéologique du maoïsme de 1949 à 1976, la presse y est sous la coupe du pouvoir, le documentaire n’est pas autorisé, une image dite artistique survit , mais même les paysages sont abandonnés parce que pas assez engagés. Dans la période post-maoïste les photographes sont d’abord soucieux de garder le droit sur leurs images , des pratiques documentaires voient le jour à partir des années 1980, d’autres créateurs s’intéressent aux changement dans les campagnes et on assiste aussi à une nouvelle approche visuelle de l’urbain.
A partir des années 2000 avec un renouveau documentaire se développent des pratiques conceptuelles jusqu’à l’avènement , avec le numérique, d’une post-photographie.
En 2000 a lieu le premier Festival de Pingyao à l’initiative d’Alain Jullien. A côté de vedettes françaises et internationales sont exposés les artistes chinois An Ge, Aniu, Han Lei, Hong Lei, Shao Yinong, Li Lang. On les retrouve tous dans le livre de Gu Zheng. Canton a inauguré son Museum of Arts dès 1997, en 2005, son directeur Wang Huangsheng lance la première biennale de photographie. Si elle ne connait que trois éditions elle permet de révéler des auteurs aussi importants que Wang Ningde, Wang Qingsong, Moyi, Luo Dan ou Zhang Hai’er.Autre acteur de cette situation, François Cheval devient le cofondateur et codirecteur avec Duan Yuting du nouveau Lianzhou Museum of Photography, premier musée public dédié à la photographie en Chine.Lors de l’exposition inaugurale en 2017 deux monographies importunantes sont consacrées à Zhuang Hui : né en 1963 et à
Zhang Hai’er : né en 1957. Une figure importante de cette scène est le photographe RongRong créateur du Three Shadows Photography Art Centre.
Avec Bérénice Angremy et Victoria Jonathan il a créé en 2015 le festival Jimei x Arles.
Une critique importante à faire à ce livre est l’absence inadmissible de deux vedettes essentielles Ai Wei Wei et Liu Bolin si le premier a d’autres pratiques, performatives et vidéo à son actif sa production d’image est aussi essentielle que le travail performatif du second qui le fait disparaitre dans le décor. Une autre critique générale est que pour correspondre à son chapitrage les oeuvres retenues de quelques artistes ne sont pas les plus significatives de leur recherche. Après on peut s’étonner aussi de clichés qui montrent dans un plan général un personnage ou une petit groupe de dos face à un paysage naturel ou urbain. Cela peut se comprendre quand l’auteur écrit que « les artistes chinois se sont penchés sur les définitions et les défis du « soi », la mémoire personnelle versus collective, et la tradition juxtaposée à la modernité. »
Pour intégrer des foules de figurants ou de sujets sociaux le format panoramique est très souvent mis en oeuvre c’est le cas de Wang Qingsong formé à la peinture et spécialisé dans des mises en scène. enrichies numériquement, qui illustrent avec un grand nombre de modèles les conflits sociaux universels. En référence à la tradition le format circulaire du tondo est aussi mis à contribution.
Dans la relation au passé idéologique le duo Shao Yinong et Mu Chen montre des images d’intérieur de bâtiments officiels du temps de la Révolution culturelle aujourd’hui sinistrés. Yang Yongliang crée numériquement des paysages fantastiques qui reprennent l’esthétique de gravures anciennes.
Le portrait reste très pratiqué mais s’ouvre à toutes sortes de communautés. Liu Zheng formé au journalisme d’information avant les années 90 décrit la société contemporaine marginale composée de condamnés, de moines, d’ouvriers, de villageois, il portraiture aussi les artistes, les chanteurs d’opéra… Si Pixy Liao expose son propre couple dans une veine délicatement féministe, Lin Zhipeng partage avec Ren Hang qui s’est suicidé à 29 ans en pleine ascension le statut d’icône de la scène gay. Cui Xiuwen s’est concentrée sur les thèmes tabous de la sexualité, du féminisme et des rôles de genre en Chine. RongRong et sa compagne inri se mettent en scène dans des environnements extrêmes, tels que des paysages déserts, des ruines et de vastes étendues vides.
Parmi bien d’autres parcours singuliers nous pouvons nous attacher
aux images dynamiques de Li Wei sont une extension de ses performances intitulée Falls produites par des acrobaties à l’aide d’accessoires tels que des échafaudages, des miroirs et des fils métalliques et des éléments d’éclairage.
Dans une esthétique quelque peu différente Chu Chu montre des gros plans d’objets en noir et blanc qui en rendent l’apparence très singulière.
L’un des travaux les plus intéressants dans une esthétique de fictions documentaires sont les ensembles photo texte de Zhang Dali qui constituent des montages de fausses actualités à partir d’éléments informatifs .