Bruno Baltzer et Leonora Bisagno travaillent en duo depuis 2014. A l’occasion d’évènements tels qu’une résidence à l’étranger, un événement politique ou un fait d’actualité – ils choisissent leurs outils, leurs techniques et leurs protocoles afin de déjouer les modes de représentation dominants. Ils revisitent des formes diversestelles que la photographie touristique, l’affiche électorale, le néon publicitaire, l’archive télévisuelle ou le journal imprimé. Créant des dynamiques relationnelles en fonction du pays et de la situation ils en révèlent les tenants historiques et sociaux.
Le degré élevé et sophistiqué de cette maîtrise de l’image se traduit, dans son devenir artistique, par un traitement critique du visible, animé par une attention constante envers le signifiant politique de l’épiphanie des choses à l’ère de la communication globale et de la société virtuelle.
Pietro Gaglianó, Des affinités électives
Déplacer légèrement le point de vue, en déporter la parallaxe pour accentuer le caractère idéologique, fausser l’utilisation d’un outil de communication pour rendre la complexité d’une situation, voilà quelques unes des stratégies du couple de créateurs franco-suisse vivant au Luxembourg , Bruno Baltzer né à Nyons en 1965 et Léonora Bisagno à Zurich en 1977.
Ainsi ils utilisent de façon paradoxale un complexe télescope réflecteur, outil astronomique capable d’amplifier la luminosité et la taille d’objets cosmiques pour rendre compte en 2015 de la visite officielle du Président de la République française, François Hollande, au Luxembourg. Le images d’ une main qui serre un objet non identifié ou les silhouettes incomplètes des gardes du corps qui en résultent font contraste avec l’intention supposée du titre Corps célestes.
Ils précisent ainsi leur positionnement :
« Nous portons plutôt des constats grâce à la déconstruction permise par notre positionnement extérieur. Tous nos travaux se font depuis ce point de vue distancié que beaucoup d’autres pourraient avoir. Nous ne sommes jamais à l’intérieur et ne souhaitons surtout pas avoir une position de pouvoir. »
Dans le changement de dimension, invités en résidence de recherche en 2018 à la Fonderie Darling à Montréal , ils interviennent dans le dépotoir à neige de l’ancienne carrière Francon pour y faire tracer la devise du Québec dans la neige grise mêlée de glace, de bitume et de détritus. L’inscription creusée fait 5,5 x 50m, la formule historique « je me souviens » s’est vue ajouter l’hypothétique conjonction si. L’intervention in situ éphémère est photographiées en un plan très large.
D’autres oeuvres fonctionnent sur un déplacement de situations idéologiques à la hauteur d’un pays. En 2016 ils installent au centre ville un conteneur aux vitres masquées de blanc de Meudon, surmonté d’un idéogrames en néon rouge, reprenant la devise du Luxembourg – nous voulons rester ce que nous sommes, d’où le titre de l’oeuvre monumentale As always qui critique le système opaque des banques internationales.
« Disons que l’image dévoile le pouvoir : elle révèle la force et la présence de celui-ci, même lorsqu’elle provient du quotidien. »
Une autre installation lumineuse Disruption 2017 reproduit en néon « noir »
la signature de Donald Trump comme marque de ses décisions brutale ce qui assombrit en arrière plan les photographies de manifestions contre ses décrets diffamants, brandies par les manifestants.
En intervention extérieure ils ont aussi produits à la demande de la Beijing Design Week un triptyque réalisé sur trois panneaux électoraux français, son titre Liberté, égalité, fraternité ayant été censuré en Chine ils lui ont substitué les trois initiales LEF. Ces trois affiches représentaient : l’avenue de la Liberté, la rue de l’Egalité et le boulevard de la Fraternité à Luxembourg. Réalisées dans une encre effaçable quand elles ont été remontrées au Centre Nei Licht au moment des élections dans notre pays elles se sont peu à peu effacé .
Intéressés à la situation de la Chine au niveau mondial Bruno Baltzer et Léonora Bisagno on produit quatre séries importantes à ce sujet. Ils ont commencé par la figure légendaire de Mao , dans la série éponyme son effigie sur la place Tien Anmen est revue à travers une centaine de selfies de citoyens chinois. S’y oppose Profession : photographe, réalisée durant une résidence d’artiste, au Three Shadows photography Art Center à Pékin. Sur la même célèbre place ils ont fait le portrait d’une douzaine de photographes qui assurent l’imaginaire officiel standardisé du maoïsme.
En résidence à la Cité internationale des arts à Paris ils sont intervenus sur un autre lieu touristique international la cathédrale Notre-Dame, sur son parvis ils ont fait poser des couples de touristes chinois avec leur propre petite fille dans leurs bras , les « images-monuments » étant perturbées par cette performance différente qui interroge la relation entre les artistes et leurs modèles.
Ayant reçu une commande Ministère des Affaires étrangères du Luxembourg sur le « hutong » habitat traditionnel pékinois, ils la détournent pour interviewer et faire le portrait des “propriétaires” qui se battent pour reprendre ou défendre leur bien sur ces lieux. L’utilisation d’un sténopé numérique auquel s’ajoute l’utilisation d’un open flash rend ces portraits plus troublants, révélant la fragilité de leur situation sociale.
L’ensemble de leur production commune manifeste une même exigence quant à une pratique pluri-artistique de l’image, de sa mise en performance ou en installation. A l’ère de la communication globale et du virtuel ils récupèrent des documents, les transforment ou leur fabriquent un autre contexte, toujours attentifs à un traitement critique et distancié du visible. Ils révèlent ainsi la responsabilité de toute création photographique dans ses dimensions politiques, idéologiques au delà de la seule création artistique partagée avec talent et humour.