Un puzzle urbain archéologique et mémoriel

Les éditions Créaphis publient « Cimetière fantôme, Thessalonique » de Martin Barzilai, une fiction critique fondée sur une enquête en images à partir d‘un hommage à son grand-père. Deux historiennes Annette Becker et Katerina Králová apportent un contexte éclairé à cette tentative d’oubli idéologique programmé contre lequel ce projet artistique et mémoriel entre en lutte.

Martin Barzilai est né à Montevideo en Uruguay. Il est diplômé de l‘Ecole Nationale Supérieure Louis Lumière Il s‘est intéressé aux champs politiques , sociaux et environnementaux des pays de son continent natal , thèmes qu‘il explore aussi en France, en Palestine-Israël et en Tunisie. Il publie régulièrement dans le New York Times, Rolling Stone, Le Nouvel Obs, Les Echos, Le Monde… Son précédent livre Refuzniks, dire non à l’armée en Israël a été publié par Libertalia avec le soutien d‘Amnesty.

Invité aux Rendez-vous de l‘Histoire 2023 à Blois sur le thème Les vivants et les morts pour présenter son dernier livre il a participé à la séance thématique Effacement, à l’ombre de la mémoire. Dans la situation historique en question cette disparition a été celle du cimetière juif de Thessalonique, il a abrité plus de 300 000 tombes jusqu’à ce que les nazis l‘exproprient en 1942 et que les pierres tombales soient réutilisées dans différentes constructions par les Allemands puis par les Grecs.

Un premier portfolio en noir et blanc recueille les photos de famille de l’auteur qu’il commente et qui l’ont accompagné lors de ses voyages à Thessalonique durant les cinq ans de préparation et de finalisation de son projet généalogique. L’un des clichés les plus émouvants date de 1926 , il montre un de ses ancêtres posant sur la tombe d’un autre membre de la famille, la monument comportant deux textes l’un en hébreu, l’autre en français.

Deux types de corpus d’images en couleurs sont activés dans le corps du livre, le premier relève du paysage , il présente des plans rapprochés de sites urbains au sein desquels Martin Barzilai a identifié des pierres originelles. Une variante en plans plus rapprochés fait le focus sur ces mêmes vestiges. Ces images de matière pétrée apparaissent presque abstraites.Si ce n’est que des écritures hébraïques en font des messages post-mortem luttant contre l‘oubli.

Le second corpus réunit la galerie de portraits des témoins rencontrés par le photographe qui l’ont guidé dans sa quête urbaine archéologique. Les professions y sont diverses , autant que l’aide apportée : un pharmacien qui connait l‘emplacement actuel des anciennes tombes, un historien capable d’aider à la traduction des inscriptions, un consul de France, un archiviste, un agent de sécurité du musée juif, le directeur du musée de photographie, des employés de gare. Cette collaboration avec les tenants d’une collectivité dans un projet photographique qu’ils orientent montre l’appartenance du projet à l’esthétique des fictions documentaires. Onze entretiens et un journal de bord de la campagne de prises de vue contribuent à l‘élaboration d‘un récit commun à partir des investissements émotionnels de chacun.

Grâce à cette enquête et aux témoignages sont identifiées et photographiées les pierres tombales brisées, incorporées ailleurs dans différents sites : murs de soutènement en centre vIlle, dalles du parvis de l’Église, tables de dissection du département de médecine … Les gestionnaires de la cité ont pris leur part à cette opération de résilience historique en réintégrant certains fragments, certaines roches gravées dans le nouveau cimetière juif inauguré dans les années 1950.Martin Barzilai documente aussi ces espaces rénovés comme significatifs de sa démarche. A partir d‘une préoccupation personnelle quant à ses ancêtres il mène une recherche d‘une exigence aussi scientifique qu‘artistique qui aboutit à une nouvelle approche sensible d‘un phénomène historique essentiel.