Le Musée des Beaux Arts d’Orléans sous la direction d’Olivia Voisin expose le regard singulier d’Emmanuel Berry sur l’œuvre d’Auguste Rodin, dans un riche dialogue avec une quinzaine de sculptures et 25 photos d’époque grâce à une collaboration féconde avec le musée Rodin. Ce travail s’inscrit dans une longue relation entre le sculpteur et l’image argentique et près d’un siècle après la mort de l’artiste, son œuvre prolifique reste un champ d’expérimentation. Le photographe renouvelle notre vision sur sa création.
Rodin fut sensible à ce nouveau médium qui nait en même temps que lui et il devint collectionneur rassemblant entre 1870 et 1917 plus de 7000 images, documentaires ou artistiques, vues d’architecture, de paysages et de nus académiques. Quand il commence à être célèbre il fait appel à deux opérateurs amateurs Eugène Druet, et Jacques-Ernest Bulloz pour documenter sa création, images qu’il retouche au pinceau ou au crayon. Il peut s’agir d’indications données pour le tireur ou le graveur. Mais de façon plus personnelle elles lui servent à garder sous les yeux la trace des différentes étapes de la genèse d’une sculpture. On se souvient aussi de l’approche pictorialiste d’Edward Steichen qui fait œuvre sensible à partir de ses sculptures.
Emmanuel Berry né à Sens en 1971 a côtoyé Robert Frank pour un workshop où il collabore à la production d’un film court. Il devient l’assistant de Paolo Roversi qui l’influence dans son choix du polaroid comme son seul outil durant plusieurs années. Il fréquente aussi des artistes comme Jean Pierre Pincemin ou Yves Guillot et il intéresse le critique Bernard Lamarche-Vadel. Quand il travaille en couleurs pour l’ancien asile psychiatrique d’Auxerre il installe un trouble progressif sur ses clichés par de discrètes altérations de la réalité. Une autre série porte l’étonnant titre Définitivement fixé, perdu pour la littérature où il révèle son penchant pour le subjectif et l’intime. De retour au noir et blanc à Auschwitz Emmanuel Berry refusant l’esthétisation des camps fait le choix délibéré de ne s’intéresser qu’aux limites et frontières du site.
Ayant eu libre accès aux réserves du Musée parisien le photographe se concentre sur les les œuvres plus personnelles, inachevées, qui révèlent le mécanisme de la création. Cela ne l’empêche pas de se consacrer aussi à des œuvres majeures comme Le Penseur dont il propose une version étonnamment fluide. Il modifie de même le sentiment de puissance que l’on ressent habituellement face à la tête de Balzac pour en donner une version plus rêveuse. De même il s’approche et réduit son cadre sur Le baiser ou Le sommeil pour nous enfaite partager l’intimité.
Grâce à d’importants camaïeux de gris il réussit avec des cadrages très serrés à donner un ressenti très sensuel des marbres et autres matières sculptées. Pour Michel Frizot, Rodin conçoit la matière photographique « comme « une surface de transaction » qui lui permet de se ressaisir d’une interrogation créative par l’implication de l’œil, plutôt que de la main ». Les photographies d’Emmanuel Berry grâce à des tirages d’une haute subtilité constituent une nouvelle version de cette surface justement dite sensible.