Singulier projet que celui de « I Silenti » présenté à Orléans après Marseille et Namur. La musique et le chant y jouent le rôle primordial, le violoniste virtuose Tcha Limberger y affirme sa maîtrise de la musique manouche m^élée aux propositions de Fabrizio Cassol. D’autres chanteurs et musiciens investissent la scène en dialogue avec une danseuse d’origine indienne. Le spectacle se construit sur la projection de cinq images d’archive qui nous rappelle le sort oublié des roms pendant la seconde guerre mondiale.
Des ombres tournent en silence dans la pénombre du plateau devant les trois rideaux de fond de scène. Puis l’espace est déchiré par un chant guttural qui se développe sur un air de violon. Les figures de l’ombre se révèlent être des chanteurs qui entourent la silhouette trapue du violoniste aveugle. Une frêle danseuse brune entoure le musicien de ses brusques gestes incitatifs qui font se mouvoir tout le haut de son corps . Sur les rideaux se succèdent des projections incomplètes de ciels tourmentés. Puis tout l’écran de fond accueille une première image plein cadre , d’abord floue, qui lorsqu’elle arrive au presque focus laisse apparaître un charnier .
A gauche du plateau une estrade accueille les musiciens accompagnateurs un accordéoniste, un contrebassiste et un percussionniste qui soutiennent par leur rythmique le développement du chant dans sa plénitude. Ce chant nourri de l’accompagnement de la voix d’une soprano et de celle d’un baryton qui tournent sur le plateau voit sa traduction s’afficher sur le modèle familiarisé pour les opéras.
Autant le terme de Shoah est répandu dans un vaste public autant celui le Porajmos, l’Holocauste des Roms, reste aussi peu connu que la réalité historique du drame historique subi par le peuple nomade. Pour donner à l’entendre Fabrizio Cassol a recours aux Madrigaux de Monteverdi, la panoplie de toutes les émotions humaines y est exprimée avec passion. La polyphonie qui les intrique aux airs de la musique manouche exprime sa nostalgie, les grandes questions humaines l’amour, la guerre, l’exil, le déracinement trouvent leur expression la plus sensible.
Pour que ce peuple trouve une incarnation, la seconde image projetée est un gros plan noir et blanc sur deux femmes et une enfant rom. La scène s’anime dans la continuité musicale qu’anime le joueur de kaval, cette longue flûte traditionnelle, tandis qu’un autre musicien et la soprano se parent d’un long tissu aux gros motifs floraux qui les transforment en prince et princesse nomades.
La troisième image nous dévoile une caravane ancienne à traction animale en train de brûler suite aux exactions des troupes nazies. Puis l’image redevient vite floue à la mesure de notre oubli collectif.
Bien que la mise en scène soit minimale jouant de l’ombre et de la lumière, du silence et de la cécité sa dramatisation se poursuit avec un plan général d’un groupe de femmes et de petites filles, debout derrière des barbelés, qui se teignent peu à peu de rouge.
La musique qui s’emballe et nous entraîne sur ces complexes chemins de mémoire prend cette puissance qui faisait dire à Fabrisio Cassol de son complice Tcha Limberger « il ne joue pas de la musique, il est musique, capable de faire vivre tous ces sangs nomades qu’il a croisés. »
Sur l’écran en fond de scène ils s’incarnent avec cet autre plan général montrant des hommes et des jeunes garçons assis, fixant l’objectif, puis un lent mapping noir efface un à un les corps et les visages, nous rappelant cette déclaration d’Ernest Pignon Ernest « L’amnésie c’est la barbarie ».
La danseuse démultiplie ses actions chorégraphiques dynamisant l’ensemble des corps présents. Quand l’ensemble de la scène prend une couleur rouge écarlate elle poursuit sa progression au sol alors que le chant passe à une forme supérieure d’unisson qui réunit toute la troupe. Ce travail de deuil mémoriel, prend la forme de ces cercueils de cérémonie vides pour une célébration qui n’a pas eu lieu pour ce génocide oublié, toujours pas reconnu en tant qu’opération de purification ethnique.