Frédérique Joly docteur en sociologie à Paris VIII a mené une longue enquête de terrain qui a abouti à la première thèse, accompagnée par Alain Quemin, soutenue à l’Ecole Nationale des Beaux Arts de Paris dans cette discipline. Les éditions l’Harmattan qui publient de nombreuses ouvrages issus de thèses sortent son étude Elève en école d’art, entre amateur et professionnel.
Ce travail de terrain mené dans les écoles d’art du Nord Pas de Calais et de l’Ile de France où l’auteure a enseigné s’est accompagné de questionnaires auprès des parents, des étudiants et des équipes d’encadrement, ainsi que des politiques dont dépendent ces établissements. La situation française y est d’abord approchée grâce à une étude historique bien documentée. On y rappelle comment au XVIIIe siècle le modèle italien des Académies a été exporté. Les dates importantes y sont évoquées, 1795 la création de l’Institut de France et le lancement du Prix de Rome, puis en 1816 l’ouverture de l’Ecole des Beaux Arts de Paris et en 1863 le recrutement d’enseignants artistes.
On se souvient des bouleversements apportés en 1968 à l’académisme qui s’était peu à peu installé dans ces écoles qui abandonnent le terme beaux arts pour s’appeler dès lors écoles d’art avec de nombreux enseignants artistes. Du côté universitaire e n’est qu’en 1925 que sont créés des cours d’arts plastiques et il faudra attendre 1970 pour que Paris VIII inaugure au plan national son premier département d’études artistiques. Cinq ans plus tard est créé le premier baccalauréat section artistique. Il faut attendre les années 1990 pour que des rapprochements aient lieu entre les ministères de la Culture et de l’Education Nationale. En 2010 l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux Arts de Paris crée la première formation des Artistes Intervenants en Milieu Scolaire. La réforme Licence Master Doctorat appliquée dès 1999 à l’Université sera peu à peu appliquée aux écoles d’art.
Frédérique Joly se pose ensuite la question de l’accès à ces études : 58 % des étudiants reconnaissent être passés d’bord par une période d’apprentissage en autodidactes. Leur orientation a souvent été liée à une rencontre, celle d’un enseignant ou d’un artiste qui les a motivés. La plupart d’entre eux avouent avoir ressenti une envie précoce de ces études, la question de la vocation, ou du don sont moins effectives que celle de la motivation personnelle. Les influences familiales dès le primaire sont importantes et souvent plus ou autant celle de la mère que celle du père. Les parents pensent que ces études permettront à leur enfant de trouver une ouverture d’esprit, une compétence et faciliteront leurs possibilités de communication.
Si la plupart des écoles d’art accueillent une majorité de filles, les enseignants masculins y représentent le plus grand nombre. Cela ne correspond pas à la représentativité des femmes artistes sur le marché de l’art comme l’a prouvé le rapport de Reine Prat en 2006 : 42% d’entre elles n’ont qu’une très faible visibilité. Interrogés sur leurs artistes favoris, étudiants et étudiantes citent 85% d’hommes. Les études de genre qui ont fini , longtemps après leur développement dans les pays anglo-saxons, par gagner la France aideront peut être à modifier cette situation, de même que la parité dans les équipes pédagogiques et jurys de diplômes.
Un chapitre étudie l’apport des nouveaux moyens technologiques dans l’enseignement. Si en 1999 seulement 22% des étudiants revendiquaient une utilisation de l’ordinateur à des fins de création, la grande majorité d’entre eux sont bien équipés avec mobile, adresse mail, compte facebook et 33% d’entre eux ont leur propre blog. La photographie argentique et numérique occupe toujours une place importante en lien aussi à la construction identitaire.
Les mutations du métier d’artiste sont aussi étudiées, en sachant que le singulier ne convient pas puisque de nombreux métiers apparaissent comme des voies possibles. Les métiers les plus attendus par les parents sont ceux de graphistes et d’architectes. Comme leurs enfants ils espèrent un travail indépendant et les possibilités de pluri-activités. Si les attentes restent traditionnelles chez les parents toujours attachés à la peinture, au dessin et à la sculpture les jeunes s’intéressent aux multiples débouchés qui permettront de diversifier leur formation professionnelle. Celle-ci est facilitée par les nombreuses classes préparatoires qui forment de mieux en mieux à l’ouverture aux études en école d’art.
Le dernier chapitre est consacré à la justification du titre « entre professionnel et amateur », selon le concept mis en place par Annie Chèvrefils-Desbiolles de « proam », c’est le point le moins bien développé par l’auteure, qui n’apporte pas d’autres éclaircissements que les arguments disant qu’en tant qu’étudiant(e)s ils ne sont pas encore de vrais professionnels. Il est dommage que l’aspect sociologique ne soit pas complété par des exemples précis d’implications professionnelles lors de séminaires pratiques, de workshops et de collaborations avec des institutions artistiques. Bien que le modèle LMD freine ce type de créativité, au profit d’une recherche théorique, le dynamisme des écoles d’art reste patent, un exemple de l’auteure le prouve Sur 106 artistes sélectionnée par cooptation pour Jeune Création 2013 , 101 étaient diplômés d’une école d’art. De nombreuses autres manifestions recrutent avec les mêmes critères de qualité.