Une exposition chorégraphiée

Si la scénographie des expositions d’art contemporain est de plus en plus une préoccupation de commissaires désireux de faire œuvre il est rare qu’une exposition soit totalement chorégraphiée. Dans le cadre du nouveau Festival du Centre Georges Pompidou Christian Rizzo, avec la complicité de Bernard Blistène et Jean-Marie Gallais, nous fait la preuve magistrale de cette opportunité dans l’impressionnante salle d’armes de la Conciergerie devenant la scène de cette pièce : « le sort probable de l’homme qui avait avalé le fantôme. »

Ce titre à rallonge situe bien cette proposition à côté des autres pièces dansées du chorégraphe plasticien, que l’on se remémore « et pourquoi pas « bodymakers, « falbalas », « bazaar etc, etc … ? » de 2001 ou « Autant vouloir le bleu du ciel et m’en aller sur un âne » de 2004. Par ailleurs le praticable noir qui partage dans toute sa longueur l’impressionnante salle médiévale apparaît comme le négatif de l’immense plateau blanc troué de fosses d’où sortaient les corps des danseurs de sa production de 2007 « Soit le puits était profond, soit ils tombaient très lentement car ils eurent le temps de regarder tout autour ».

L’impression de profondeur est ici donnée par l’aspect miroitant de la surface sombre qui reflète toute l’architecture et met en abyme les différents protagonistes sculptés. Les lumières sont assurées par plusieurs globes incandescents de grand diamètre qui jalonnent le parcours du spectateur dont les déplacements déterminent la durée du spectacle de l’exposition.
Quant au genre spécifique deux moniteurs en donnent les limites esthétiques se plaçant sous l’autorité d’un Merce Cunningham, sa radicalité s’exerçant ici dans l’occupation plastique de l’espace par des corps prothèses au design partagé avec la styliste japonaise de « comme des garçons » et de l’autre côté du praticable sous le parrainage d’Hussein Chalayan pour la provocation mode scénographiée en défilé, corps en apesanteur et robes machines.

Les costumes sont assurés par le très médiatique Ai Wei Wei qui produit ici une pièce modeste à partir d’une interprétation en porcelaine d’une robe traditionnelle chinoise à petites fleurs qui tranche avec les chaussures baroques du bottier styliste Benoît Méléard.
Les indications scénographiques sont confiées à deux incitations à revisiter des pièces originales. Tout d’abord celle du trop rarement vu en France James Lee Byars, ses soixante quinze bonnets de soie rouge s’accompagnent d’une photo de la performance originale de 1969. Pïerre Joseph dans sa série des « personnages à réactiver » de la fin des années 90 nous invite à sa performance où à sa reprise photographique du « torero mort » de Manet.

La multitude des personnages sculptés constituent la troupe en elle-même. Elle a été castée par des auteurs aussi différents que Khatarina Fritsch, Daniel Firman, le hollandais Folkert de Jong ou le grand Maurizio Cattelan. L’impression d’immensité d’un plateau est donnée par les échanges d’échelle entre les miniatures très art décoratif de la canadienne Shary Boyle ou les figures de bois peint du japonais Tomoaki Suzuki et des pièces de plus grande taille comme celle de Xavier Veilhan ou le défilé de fantômes , justifiant le titre de l’exposition qu’Olaf Breunig a produit avec des linceuls griffés du couturier Bernhard Willhem.

Les rebondissements fictionnels de la chorégraphie sont activés par les œuvres situées aux alentours, à l’extérieur du praticable, corps de marbre morcelés , dissimulés partiellement sous de banales couvertures par Berlinde de Bruycker, quadriptyque photo de Valérie Belinsurplombant des compétiteurs pour danse de salon saisis entre « Le dernier tango à Paris » et « Bandoneon » de Pina Bausch. Enfin observant la sortie proliférante des fantômes, les trois figures hautement politiques de « Bienvenue en Absurdistané de Gloria Friedmann donnent une portée plus directement éthique à ces ensembles de scènes jouées qui questionnent la fragilité du corps soumis à l’Histoire dans ses mutations les plus récentes.

L’installation joue autant de la déposition organisée scéniquement de ces corps en transformation que de leur effet d’apparition et encore de leur suspension dans l’espace intermédiaire entre vision directe et représentation à la surface du miroir noir. Elle nous
Permet ainsi de jouir du spectacle aussi joyeux qu’inquiétant de notre sort d’humains, devenus seulement spectateurs dans un monde virtuellement fantômal qui nous menace par ses expérimentations bio-technologiques comme par son devenir-images.