Une femme en contre-jour, un livre de Gaelle Josse

Si les rapports sont riches et nombreux entre littérature et photographie et ce depuis son invention en 1839 , il est rare que la personnalité d’un auteur et la découverte de son oeuvre soient suffisamment romanesques pour faire l’objet d’une création littéraire. C’est pourtant le cas avec l’apparition récente dans le domaine de l’image argentique de l’ensemble des productions de la franco-américaine Vivian Maier. Gaelle Josse se propose dans Une femme en contre-jour de nous révéler son étrange destin et l’importante production qu’elle n’a jamais elle-même finalisé.

Vivian Maier aurait pu rester à jamais anonyme, ne laissant dans les mémoires de quelques familles américaines que le souvenir d’une gouvernante très dévouée au service de leurs enfants.
Certains pères plus rigoureux auraient pu lui reprocher ses excursions avec leur progéniture dans des quartiers moins fréquentables. Mais un certain John Maloof fréquentant les ventes aux enchères achète un jour pour 400 dollars un ensemble de photographies et de documents personnels. Sur un des tirages ou sur une lettre il identifie un nom Vivian Maier et commence une enquête sur cette photographe amateure à l’intense production dont beaucoup d’images restent à l’état de négatif. Comme l’écrit Gaelle Josse « John Maloof va en effet inventer Viviane Maier. La révéler au sens photographique du terme. Naissance et résurrection d’une artiste de génie. Naissance d’une énigme. »

En dehors de ses négatifs noir et blanc dont une majorité réalisés au moyen format , 6 par 6 centimètre. Maloof après enquête va découvri aussi des couleurs, mais encore de petits films et des enregistrements sonores. Il va comprendre que cette femme simple travaillant toujours au service des autres a créé un ensemble très riche, qu’elle n’a jamais eu l’occasion ou le désir de mettre en valeur. Pour conter son étrange aventure solitaire il va produire avec Charlie Siskel un documentaire Finding Vivian Maier.

Ses photographies de rue s’intéressent à toutes sortes de populations : les noirs, les hispanos, les exclus, les marginaux, femmes épuisées et hommes à terre, mais aussi enfants saisis dans leurs jeux. En dehors de la cohérence de ce corpus ce qui tire l’ensemble vers une création artistique ce sont les très nombreux autoportraits réalisés avec toutes sortes de protocoles visuels que l’on connait bien à cette époque chez Lee Friedlander par exemple. La singularité de cette pratique peut se qualifier ainsi :« Elle ne cherche ni à plaire ni à se plaire, mais peut être seulement à vérifier sa propre présence au monde ».

De fait quand on commence à découvrir les tirages de Vivian Maier on la compare aux plus grands créateurs de la street phtography au féminin Helen Levitt, Lisette Model ou Diane Arbus, mais aussi aux grand humanistes français Willy Ronis, Robert Doisneau ou Henri Cartier-Bresson.
Gaelle Josse y voit moins d’anecdotes que chez ses derniers : « Nous sommes dans un réel saisi de face , de front, sans embellissement aucun. » et elle revendique sa sensibilité « Vivian va au plus près des êtres. Sans appréhension, sans timidité. »

Le livre s’attache à montrer les difficultés familiales qui ont toujours bouleversé la vie de l’auteure. Ses diverses origines franco-américaines lui ont valu à la mort de sa grand tante d’être l’héritière au détriment de sa mère du domaine de Beauregard, dont la vente va lui permettre une longue parenthèse de 9 mois de voyages. Elle explore ainsi avec son rolleiflex en bandoulière les Caraïbes, le Yémen, l’ Egypte, la Thaïlande, l’Inde, avant un retour en France. Retrouvant l’intuition de Roland Barthes quant à la prise de vue Gaelle Josse imagine la voyageuse « Saisir la lumière des choses avant qu’elle ne s’efface selon le mot du poète Basho, le maître du haïku. »

Pour justifier de son intérêt pour cette auteure exceptionnelle l’écrivaine aborde ce parallèle : « Le travail de Vivian Maier me renvoie, de façon frontale, impérieuse, à ce que je poursuis en écrivant. Faire passer un peu de lumière dans l’opacité des êtres, dans leur mystère, leur fragilité, dans leurs errances, et dire ce qu’on entrevoit, ce qu’on devine, ce qui se dérobe. »