Une fissure du regard

Julio Cortazar* (du Collège de Pataphysique) prétendait que pour devenir Cronope, il fallait répondre « oui » à 7 questions dont l’une était : Avez-vous parfois envie de dessiner sur le dos d’une tortue une hirondelle ?. Je ne sais pas si Horacio Cassinelli est un Cronope (quoique !) mais il peint sur le ventre de vrais scarabées géants les visages de célébrités.

Le ton est donné pour l’exposition BUG BANG qui se tient à la Réserve et qui lui est consacré. Le Bug, (petit insecte capable de perturber des circuits informatiques) provoque un dysfonctionnement, un accident, une panne du regard qui nous plonge entre deux perceptions de la réalité.

Horacio Cassinelli fait souvent appel à un animal comme médiateur privilégié, comme facteur insolite pour ouvrir le passage. La série Mariposas, de charmants papillons qui semblent voleter sur les murs ou ceux épinglés dans des boites appartiennent, à y regarder de plus près, à une espèce inconnue jusqu’alors. Après tout le papillon, lui-même un Cronope, ne pare-t-il pas ses ailes de dessins repoussants pour ses prédateurs, comme pour leur dire « Ceci n’est pas un papillon » ?. « En cela j’ai l’impression de participer à l’évolution de cette espèce » nous dit l’artiste !

Jouant sur les contraires, Horacio Cassinelli présente deux sculptures suspendues, composées de grosses lettres imbriquées sur lesquelles sont peints une chouette (la nuit) et un lustre (la lumière) de telle façon que l’on ne peut les voir en entier que si l’on se déplace pour trouver le bon angle, la bonne distance. Sans parler de ces anamorphoses qui ne révèlent des visages célèbres que lorsque l’on trouve la bonne hauteur.

De l’humour, certes devant l’Unicornio, magnifique cheval flanqué d’un cornet de glace écrasé en guise de corne, mais aussi de l’inquiétude quand une fragile aile d’abeille géante vient « troubler » un paisible paysage. Ainsi le Bug comme processus de création, vient disloquer, fissurer nos habitudes du voir, notre conformité, notre savoir et nos certitudes pour nous plonger dans l’inattendu.

Les oeuvres d’Horacio Cassinelli nous placent dans un subtil décalage, une légère déchirure. Il réussit à nous surprendre, à stimuler notre capacité d’étonnement pour reconnaître notre ignorance, il rafraîchit notre capacité de voir : « Etre toujours au seuil du mystère et avoir une autre lecture du réel, c’est la contrainte que je me suis donné ».

Si vous êtes un Fameux, à savoir « celui qui conserve ses souvenirs enveloppés dans un drap noir », abstenez-vous de voir cette exposition. Julio Cortazar, (1914-1984), argentin naturalisé français, est l’auteur de recueils de nouvelles et de romans.