L’un des grands artistes de la mémoire et de l’espace public, Jochen Gerz, malgré de nombreux catalogues dans les différents pays où il est intervenu
ne disposait pas d’une monographie donnant un regard complet sur sa démarche. Octave Debary anthropologue coordonne cet ouvrage à la maquette très soignée et à l’abondante illustration sur son environnement et ses créations.
Cet essai fait suite au travail d’habilitation à diriger des recherches mené par Octave Debary, maitre de conférence à l’Université Descartes et professeur associé à l’université de Neuchâtel, chargé d’enseignement anthropologie des musées et de l’art. Il est le fruit de nombreux entretiens menés entre 2013 et 2015 avec Jochen Gerz né en 1940 à Berlin et que l’on considère comme un artiste conceptuel, alors que son œuvre déborde ce cadre théorique. Ses expositions témoignent de ses œuvres in-situ où sont mis en œuvres différents médias : photographie, vidéo, livre d’artiste, sculpture.
Gerz fait des études de langues, de littérature et d’histoire jusqu’en 1964. Il travaille comme journaliste, comme traducteur, comme graphiste puis produit une œuvre artistique où s’établissent des rapports entre le langage, la mémoire et la culture. Après une série d’actions et de performances dans l’espace public, il produit des séries de Photos/Textes dans la logique du narrative art. Il y confronte ses monologues subversifs sur l’art à des photos de paysages ou de corps.
Cette première monographie qui lui est consacrée s’appuie sur une trentaine d’œuvres dont le catalogue illustré figure en fin d’ouvrage. Ce choix très cohérent semble devoir être complété par le fait que le site de l’artiste (https://www.jochengerz.eu/) est présenté comme « un work in progress auquel plus de 600 œuvres doivent être ajoutées. »
Le livre s’appuie sur deux sortes de textes, des citations directes de l’artiste imprimées en bleu et le texte théorique d’Octave Debary en noir et blanc. L’ensemble de ces écrits font l‘objet d’une traduction anglaise justifiée par la renommée internationale de l’œuvre. Pour donner corps à cet ensemble et du fait que Gerz qui a longtemps vécu en France s’est réfugié en Irlande en 2008 Pierre Gaudin l’éditeur de Créaphis approche le lieu de cette retraite créative par de subtiles photographies noir et blanc et couleur. Imprimées sur un papier transparent elles constituent une lente approche météorologique d’un paysage intérieur et d’un portrait en filigrane de Gerz lui-même.
Octave Debary, intéressé par les notions de mémoire et de restes, échange avec l’artiste sur ces champs de création. Il construit son approche en deux grandes parties. Il propose d’abord une réflexion sur la place des objets (et l’art de s’en passer) dans les productions artistiques de Gerz mais également en référence à d’autres artistes (Duchamp, Sarkis, Boltanski, Christo…) ou écrivains (Primo Levi, Marcel Cohen…).
La seconde partie en s’appuyant sur une tendance de l’art contemporain à travailler la notion d’œuvre ouverte, d’œuvre participative, d’œuvre pensée dans et pour l’espace public montre comment Gerz produit seul ou avec la complicité de son épouse Esther Shalev-Gerz de nouvelles formes de Monuments.
En 1986, tous deux font élever à Hambourg un Monument contre le fascisme, imposante colonne de plomb où les passants sont invités à graver leur nom comme pour une pétition. De 1991 à 1993, pour le Monument contre le racisme,Gerz fait inscrire avec les étudiants de l’école d’art de la ville sur l’envers des pavés de la grande place de Sarrebruck le nom des
2 243 cimetières juifs d’Allemagne. La seule indication de la présence de l’œuvre est le fait que le lieu central de la cité est rebaptisée « place du Monument invisible ».
En 2000, pour les Mots de Paris, il met en exergue les SDF qu’il emploie pour les rendre visibles au plus grand public devant Notre-Dame. En 2001, il entreprend la réalisation d’une Anthologie de l’art sur l’Internet et interroge artistes et théoriciens : « Dans le contexte actuel de l’art, quelle serait votre vision d’un art encore inconnu ? » (www.anthology-of-art.net)
« Ce n’est pas tant la mémoire (soumise à un véritable travail d’écriture et de mise en récit qui est absente, mais l’histoire qui est toujours présente »
L’artiste lui donne des lieux nouveaux où s’inscrire. S’il existe une ressemblance selon l’anthropologue c’est celle entre le langage de l’horreur et celui de la culture. Les divers processus de création qui en témoignent, dispositifs ou mémoriaux, invitent à faire du moment de réception de l’art un temps constitutif de ces œuvres qu’il dédie à la rue, aux gens