Reprenant la sélection de l’exposition de 2005 à partir des photographes exposés à la galerie lyonnaise Le Bleu du Ciel depuis vingt ans Michel Poivert et Gilles Verneret, développent une réflexion sur de nouvelles pratiques documentaires
réunies autour de ce beau titre « La Région Humaine » publié par les éditions Loco.
L’historien avance le concept de photographie juste liant éthique et esthétique, tandis que le galeriste montre sa défense de formes documentaires différentes . Chaque grand chapitre est complété par les textes des photographes ici réunis, l’ensemble composant un état significatif de ces pratiques. D’autant que les oeuvres sont reproduites et imprimées avec un grand soin dans une maquette bien structurée au service des images en grand format.
Michel Poivert approche leur définition pour « poser la question de la photo contemporaine en terme social, la photographie sociale contemporaine – qu’on l’appelle documentaire ou réaliste, engagée ou critique ou bien encore “partagée” dans une approche collaborative ». Bien entendu montrer cette programmation même en intitulant cette première partie « nébuleuse documentaire » amène à y trouver par exemple Elina Brotherus dont on adore l’oeuvre sans lien à cette thématique. De façon plus claire une double influence est mise en avant : « Un héritage de la photo humaniste teinté de la politique des années 30 et un engagement riche des pensées des sciences sociales des années 70. »
En couverture le détail de Five women from the city of the Moon, Jericho de Valérie Jouve est doublement significatif , représentante d’une nouvelle génération d’artistes, étendant les pratiques de la photographie aux différents médiums de l’image, mais aussi comme la présence de nombreux auteurs formés à l’ENSP d’Arles. Une quinzaine d’entre eux sont ici montrés à juste titre comme Brigitte Bauer, Arno Gisinger, Olivier Menanteau, Mathieu Pernot, Edith Roux ou Bruno Serralongue.
Michel Poivert reprend à Félix Guattari le terme d’écosophie pour désigner dans cette nouvelle génération cette conjugaison des causes environnementale, sociale et mentale, il montre la reprise des méthodes de l’enquête et les nombreux protocoles hérités des sciences humaines et sociales comme alternative aux médias au service de la défense des migrations, des minorités ou des genres.
On trouve cette notion illustrée par les grands noms pionniers attendus de ce type de pratique notamment Gilles Saussier, Guillaume Herbaut, Christian Lutz, Jacqueline Salmon ou Paul Shambroom.
Dans le second chapitre Gilles Verneret revendique ses choix de curateur « vers un nouveau documentaire ». Les auteur(e)s français(e)s y sont nombreux dans une représentation équilibrée quant à la mixité, avec par exemple Claire Chevrier , Julien Guinand, Samuel Gratacap, Sophie Rstelhueber, Mathieu Asselin ou Silvana Reggiardo.
Mais les choix internationaux les équilibrent on peut y retrouver l’américaine Suzanne Opton, l’italienne Marina Ballo Charmet, le palestinien Taysir Batniji , l’irlandais Mark Curran, le suisse Jules Spinatsch. C’est aussi l’occasion de nombreuses découvertes comme ses compatriotes Karim Kal ou Fabienne Radi, l’américaine Nina Berman, les israéliens Elinor Carucci et Shai Kremer, la taïwanaise Chia Huang ou la russe Alexandra Demenkova et encore le chinois Yan Gao et le suédois Gerry Johansson.
Le panorama est donc riche et varié. On peut reprocher cependant à Gilles Verneret d’ignorer certains créateurs des fictions documentaires tous ceux qui utilisent des mises en scènes ou des post-productions plus plasticiennes ou plus proches des nouvelles technologies.
L’exploration de cette Région humaine à travers les initiatives et les oeuvres dune centaine de photographes vaut pour l’affirmation des valeurs de l’enquête, de l’analyse économique et sociale et le décryptage politique et idéologique selon ce que les auteurs appellent « une poétique de la responsabilité ».