D’origine polonaise, MARYAN S. MARYAN, né PICHAS BURSTEIN (1927- 1977),
a créé un univers plastique dont cette exposition remarquable, malgré le petit nombre des oeuvres, est bien représentative ; on peut y voir une série de dessins en noir et blanc à la craie grasse ainsi que des peintures colorées qui permettent de comprendre une démarche artistique que résume ce texte-manifeste de 1970 :
Qu’on ne me colle pas des étiquettes. Par exemple :
Peinture dénnonciatrice (sic)
Agressivité sans bornes
Ou alors, on dit aussi ça n’étonne pas avec son passé concentrationnaire.
….
En ce qui concerne ma peinture, je déclare officiellement que moi,
j’aurais plutôt appelé ma peinture peinture-vérité.
Peinture-vérité
Une peinture-vérité ? Attention à ne pas confondre vérité et réalité… car il ne s’agit pas, comme pour Zoran Music, de témoigner de l’horreur en tentant de nous la faire envisager d’une manière réaliste. La vérité est ici celle de portraits chargés, proches des caricatures de Georges Grosz qui tendent vers le grotesque. C’est donc une vérité souterraine qu’il s’agit de faire éclater en déformant les conventions représentatives. Réalisées lors des années new-yorkaises de Maryan à la fin de sa vie, ses peintures réagissent à ce que l’american way of life avait de surprenant et de surchargé pour lui. Comme tous les exilés, même si leur exil est volontaire, Maryan aperçoit une vérité derrière les apparences ; on peut penser aux philosophes critiques Horkheimer et Adorno ou encore à Hannah Arendt quand elle a rédigé La Crise de la culture. Des têtes creuses, comme dans une peinture de 1975, semblent avoir subi l’effet d’une macine à décerveler.
Les portraits de Maryan, le plus souvent, nous font face, révèlant une avidité, une soif de pouvoir et une lubricité teintée de dégoût – un dégoût-satiété plutôt qu’un écoeurement moral. La bouche s’ouvre mais elle ne parle pas ; elle est l’organe de la dévoration, de la morsure, mais aussi du vomissement.
Peindre le cri
L’un des portraits est un hommage explicite à un tableau de Francis Bacon, dont Maryan avait vu une exposition, et qui lui-même fait référence au pape Innocent X peint par Vélasquez. Avec cette bouche hurlante, il s’agit, comme le dit Deleuze, de peindre le cri plutôt que l’horreur. Le désastre existentiel fait surgir une vérité sans filtre – à moins que l’humour, le grotesque et le rire n’en tiennent lieu.
Maryan qui fut élève de Fernand Léger aux Beaux-Arts de Paris lui a sans doute repris sa manière de surligner de noir silhouettes et figures, mais les couleurs qu’il emploie sont proches du Pop Art. La vie du peintre avec ses pérégrinations est sans doute exemplaire des tragédies du XX° siècle, mais elle ne s’aurait s’y réduire : elle n’en est pas la simple expression. Il a su inventer un style, manière singulière de frôler l’inhumain dans l’humain même le plus quelconque, qu’il s’agisse d’autoportraits ou de figurations symboliques (les Napoléons).
Sa verve caricaturale n’est pas seulement décapante comme chez Grosz, elle est aussi vivace et presque allègre. La joie explosive de sa peinture parvient-elle à se superposer malgré tout aux malheurs du siècle ?