Investissant un lieu de danse, le centre chorégraphique national d’Orléans, Marc Blanchet s’y trouve en résidence à l’invitation de Joseph Nadj, il nous convie à une étude du monde en camaïeux de noir et gris. Son univers sensible aurait pu illustrer les approches critiques de Bernard Lamarche-Vadel dont il actualise le concept de « seuils du visible » lié à toute pratique de prises de vues analogiques.
S’il se place dans une lignée bien définie de straight photography Marc Blanchet sait qu’il peut tenir le monde à distance de respect à travers « Mirrors and windows » comme l’analysait John Swarkowsky pour son exposition de 1962 au MOMA de New York. Sur la surface de réparation de ces frontières du visuel il installe d’abord trames, buées, reflets fragmentés, tissus. Dès lors du fond de l’mage peut advenir, comme instantanée, une figure en apparition. Pour que la dialectique du surgissement et de l’enfoui puisse résister le temps de son inscription physique et chimique il faut la décision de l’artiste loin de tout moment décisif. Arnaud Claass in « Le réel de la photographie »
tire pareillement les leçons de sa propre pratique :
« Relevant de l’inconcevable plutôt que de l’indicible les photographies sont des objets d’irrésolution. Elles tirent leur force de la franchise avec laquelle elles illustrent l’impossible de l’adéquation entre monde et pensée. »
L’irrésolu dans les images ici exposées se trouve magnifié par la suavité des tirages effectués par Vincent Bengold responsable du Festival bordelais Itinéraire des Photographes Voyageurs. Le voyage auquel nous invite Marc Blanchet a la lenteur des rêveries éveillées, les objets du quotidien y pullulent mais on y rencontre peu de présences humaines : si une silhouette féminine sans âge véritable a la familiarité des êtres chers, le seul représentant masculin voit son corps segmentés en trois tronçons semblant irréconciliables. Les jambes restant hors champs ne laissent pas escompter une fuite, le tronc est pris dans un intérieur sombre tandis que la tête, à la mimique soucieuse, se détache sur un extérieur indéfini dans une lumière incertaine. Un pan de lumière noire domine le tout.Le dispositif castrateur résonne d’une violence sourde peu compatible avec un autoportrait, d’autant que tout l’univers ambiant des autres images s’effrange plutôt d’une nostalgie instantanée.
Comme le titre de l’exposition « Récemment » le suggère si un regret se manifeste c’est de cette fuite continue du temps, il file comme les gouttes de pluie sur le pare-brise d’une route de campagne. La photographie vient tenter d’endiguer moment après moment la disparition de la vie dans les fissures du réel. Comme le suggère Patrick Boucheron il y a dans ces images la marque « d’accrocs dans la texture du temps », tout récemment cet historien dissertait sur le « courage d’avoir peur », ces photographies ne veulent pas nous rassurer sur un état du monde, même si elles approchent une poétique des seuils, ceux ci n’ouvrent que sur un monde en fuite, celui d’une tranquillité des apparences que nous savons vaine. Mais nous aimons y croire encore, le temps d’une série d’images.