Une prière Américaine

Richard Prince expose à la BNF la riche ambiguïté de son travail. On convoque souvent à son sujet l’œuvre de Duchamp, mais c’est moins pour son rapport au ready-made – tant il s’agit là d’une notion polymorphe, y compris chez Duchamp lui-même – que pour le poids du contexte : Richard Prince à la BNF n’est pas Richard Prince chez Christies. L’exposition se fait plus érudite, mais convoque les mêmes figures de son panthéon artistique : motards, pin-ups, beatnicks, où se fondent avec naturel, Kerouac, Thompson, Brautignan, Nabokov ou Gibson.

C’est vers Warhol ou Kippenberger qu’il faudrait lorgner, là encore moins pour des motifs plastiques que pour leur compulsif besoin de collectionner, de réunir des objets que d’aucuns considéreraient sans valeur et qui prennent sens, à la fois par leur réunion et par la place qu’ils occupent dans la production des artistes. Le livre American Prayer qui accompagne l’exposition de la BNF rejoue bien l’ambiguïté du travail, il catalogue, c’est-à-dire ordonne des œuvres qui échappent à leur classification par un volontaire écart historique et culturel. Le texte de Marie Minssieux-Chamonard éclaire bien ce désordre qu’entraîne l’intervention de l’artiste. Au contact de la BNF, le choix de Prince devient certes plus institutionnel, mais la bibliothèque descend dans ses enfers, canonisant au passage des éditions bon marché de romans de gare qui, customisés par Prince, rejoindront la réserve des livres rares.

C’est le principe très Américain du high and low qui œuvre à plein régime, la remise en question de l’art et de la culture comme une grande entreprise de classement et de hiérarchisation. Dans cette rencontre avec la BNF, Prince pose la question d’une spécificité de la culture Américaine. Du travail de Venturi et Scott Brown déjà évoqué ici, aux images de Stephen Shore, aux romans de Delillo, on retrouve un même objet central. L’Americana, c’est-à-dire l’objet populaire, de consommation de masse, et non pas l’antiquité telle qu’on la pense en Europe, fonde, plus que toute tentative officielle de légitimation, l’essence de l’art et de la culture américaine. Faut-il rappeler qu’en 1968, Vladimir Nabokov et Jean-Paul Sartre écrivent pour Playboy pour mesurer les découpages rigides que l’on établit souvent à tort et souvent à posteriori entre high et low.

Le catalogue de la BNF n’est pas le livre le plus représentatif du travail de la super-star Richard Prince, mais il est l’un des livres qui permet le mieux de comprendre en quoi ce travail s’origine dans une conception particulière, mais particulièrement respectueuse de la culture.