Chloé Poizat et Gianpaolo Pagni, couple à la ville comme à la scène, expose un travail réalisé en binôme, Pièces montées, présenté à la galerie du Granit à Belfort du 4 au 30 septembre 2015. Une édition chapeautée du même intitulé, et publiée aux éditions Cornélius prolonge les noces graphiques des deux artistes.
Les univers de Chloé Poizat et Gianpaolo Pagni sont a priori très éloignés, tant visuellement que dans la démarche qui les anime. Chloé Poizat dessine sans interruption au feutre fin des personnages sombres, inscrits dans d’inquiétants décors. Tous les éléments semblent faits d’une matière molle presque brumeuse, comme une pâte onirique qui s’écoule dans l’espace, s’agrège en divers volumes horrifiques puis se dissout jusqu’au dessin suivant. L’humour n’est jamais absent des compositions de l’artiste qui apprécie les monstres facétieux de série B. Souvent le travail de Chloé Poizat se compose de suites, où les dessins semblent naître les uns des autres. Bal de tête, bel ouvrage, publié en 2012, résulte d’un journal intime où l’artiste a réalisé un dessin par jour pendant une année. Chloé Poizat dessine sans prévision, à flux tendu, accueille l’accident, laisse advenir dans la minutie du geste les pérégrinations de son inconscient.
La perspective de Gianpaolo Pagni est tout autre. L’artiste tente d’épuiser le réel par diverses collections qu’il transforme ensuite en leur donnant une matérialité graphique. Ainsi pour son œuvre Mirandola, Gianpaolo Pagni rend hommage à l’esprit encyclopédique de Pic de la Mirandole, en amassant des objets qui l’entourent pour les transformer en tampons. Tout objet laisse ainsi sa trace et renvoie à un index qui dessine en creux un portrait de l’auteur. L’artiste réitère le procédé dans une collection de livres intitulée « Grande enquête au tampon » où il immortalise sa vidéothèque et ses cartes de visite en les transformant également en tampons. Un Cœur en hiver de Claude Sautet ou La Belle noiseuse de Jacques Rivette sont ainsi converties en bandes colorées à l’origine de compositions abstraites. Le réel semble être devenu une source inépuisable de motifs, invitant à emprunter dans le mouvement de la mémoire le passage entre l’objet et le souvenir, entre la matière et la forme.
Tant pour l’exposition que pour l’édition, ces Pièces montées relèvent d’un pari difficile, celui d’une création commune entre les deux artistes. Chloé Poizat et Gianpaolo Pagni ont commencé par se livrer au jeu du cadavre exquis pour laisser l’univers de chacun pénétrer celui de l’autre. L’union s’opère sur le papier où la voix de chacun reste identifiable et permet ainsi de percevoir le dialogue qui s’engage. Chacun tire l’autre à sa fantaisie, un homme à la silhouette dégingandée, dessiné par Chloé Poizat, se voit enfermer par le motif récurrent d’une lame de rasoir, tamponnée par Gianpaolo Pagni. Dans l’édition Pièces montées, une forme en engendre une autre, chaque situation répond à celle qui la précède. Une histoire sans parole se tisse dans cette série de cut up visuels. La signification est aveugle, les images dans une veine surréaliste jouent sur les sentiments, jouissent de nos peurs ancestrales, têtes solitaires et corps décapités peuplent les pages. Parfois l’on oublie même l’auteur d’un trait ou d’un autre, l’image se détache de l’ensemble, s’imprime seule dans la mémoire. Ainsi une déesse polymaste, au corps flasque, dont le visage semble être un masque sans regard, repose sur un socle géométrique et coloré. La rencontre entre Chloé Poizat et Gianpaolo Pagni se noue également en trois dimensions par la création de volumes rythmant le parcours de l’exposition. Certaines sculptures reprennent l’univers des dessins : œil, couteaux poupées et chevelures synthétiques s’allient dans la résine peinte en noir et blanc.