Valérie Sarrouy La mémoire organique

Déjà repérée l’an dernier au CPIF de PONTAULT COMBAULT pour l’exposition  » Foto Povera 3 : du sténopé au téléphone portable  » sur un commissariat de notre rédacteur Yannick Vigouroux, elle assurait avec quelques autres une relève de ce courant illustré par Corinne Mercadier, Felten Messinger , Bernard Plossu ou Nancy Rexroth. A l’occasion de son expo estivale au dynamique Atelier de Visu de Marseille elle s’étend sur ses liens philosophiques au monde , tentant dans sa pratique une version icônique de l’usage des kôans dans la méditation zen.

« Au cours d’une promenade dans un paysage enneigé, le disciple demande au maître : « maître, les toits sont blancs ; quand perdront-ils cette couleur ? ». Le maître ne répond pas tout de suite. Il se concentre dans son hara puis finit par dire d’une voix rude : « quand les toits sont blancs, ils sont blancs ; quand ils ne sont pas blancs, ils ne sont pas blancs ».
Histoire zen racontée à Alexandro Jodorowsky

Corinne Peuchet : « Le tirage photographique noir et blanc, auquel tu tiens tant dans ta pratique, puis ces images qui reviennent par la petite porte. La dernière fois que tu as exposé c’était Gradiva au Centre Photographique d’Ile de France, en janvier 2006, une première série très emprunte de symbolique, révélée en 2001. Quel bonheur de pouvoir reparler de ton Diana…petite histoire n°1 ? »

Valérie Sarrouy : « En 2004, j’ai failli arrêter la photographie. Puis, le Kyudo –tir à l’arc japonais m’y a ramenée. Dans les deux cas, il s’agit d’une pratique qui accepte la contradiction de l’agir et du laisser -faire. En réalité, je n’ai jamais cessé la prise de vue : c’est une histoire de disponibilité, dès que je peux, je reprends mon Diana (appareil photo en plastique) . D’autre part, il y avait le projet d’exposition à De Visu. Ce projet est né de la rencontre avec Soraya et Lucille. Au départ, il n’y avait que six photos mais on était vraiment dans l’échange, la prise de risque. J’aime cette idée de rencontre. J’ai commencé à photographier avec un Diana en 1997 à l’École Nationale de la Photographie d’Arles. J’avais envie de me débarrasser de la technique et d’une certaine sacralisation de la prise de vue. Le déclic s’est produit lors d’un accident de voiture : l’objectif de mon appareil photo a heurté l’un de mes amis. Quelques jours plus tard on m’offrait un appareil photo jouet en plastique qui m’apparut à la fois léger et inoffensif. Depuis, je travaille sur la mémoire involontaire et la notion d’accident. Pour moi, lors de la prise de vue, il se crée un lien entre l’appareil et le corps qui a à voir avec la mémoire organique. »

C.P. : « Ces prises de vue forment une nouvelle série, cette aventure commence en 2003 à l’occasion d’une résidence à Niort. Comme auparavant, tu ne prévois rien, tu prends ton appareil et te rends disponible. Petite histoire n°2 : un champignon apparaît sur un arbre, il s’en suit 30 clichés, prises de vue au hasard de tes déplacements et de tes rencontres. »

V.S. : « Ce sont des circonstances étranges : à Niort, je photographie des champignons qui ressemblent à des langues-de-bœuf ou à « des nuages qui passent » comme me le fera remarquer un peu plus tard une amie japonaise. Elle m’expliquera que regarder ses pensées comme des nuages qui passent fait partie de la philosophie orientale. Dans le même temps, des champignons apparus dans le jardin de ma sœur disparaissent comme ils sont venus. Il y a parfois ce genre de coïncidence : j’y suis très réceptive. C’est ce qui détermine une série de photos. Cette histoire a pris place dans mon imaginaire, d’autres images, latentes celles-là, sont venues. Des photographies non développées qui ont mûri dans leur coin. Pour moi, la photographie est le symbole de l’image latente, qui comme dans le psychique se trouve, à partir de sa « boîte », en attente de symbolisation. Ensuite, j’ai besoin des différentes étapes de la photographie argentique et de la notion de temps qu’elles impliquent. La chimie et le papier sont très importants dans mon travail. En ce qui concerne le rapport au temps, entre fixité et image en mouvement, ce qui m’intéresse c’est surtout l’impermanence des choses. Le paradoxe qui existe dans la rivière dont l’eau coule et ne revient pas et le reflet de la lune qui, lui, demeure.

C.P. : « Avec ton travail en laboratoire, alchimie du noir et blanc en argentique, l’ensemble s’incarne dans une atmosphère proche du merveilleux au sens très pur du terme. Chaque cliché est une vision dans laquelle l’essence d’un détail scintille. Pourquoi proposes-tu également aux visiteurs de l’exposition un dispositif avec deux chaises et un livre ? »

V.S. : Le dispositif est venu très vite comme une évidence. Il s’agit avant tout de mettre les visiteurs qui le souhaiteraient en position de dialogue, l’un racontant une histoire à l’autre comme les images qui se répondent dans un face à face troublant. Les textes sont extraits de kôans : ce sont des petites histoires qui révèlent la nature immédiate de la conscience de la vie au cœur même de chaque instant. Ce que je cherche à travers les choses que je photographie c’est l’idée que nous faisons partie de ce qui nous entoure. Parfois les réponses que nous cherchons se trouvent dans l’expérience de leurs réalisations dans la vie quotidienne. Mes photographies posent des questions qui restent ouvertes. Comme pour le koân, il n’y a pas de réponse toute faite car ce qui compte ce n’est pas la réponse mais celui qui y répond. »