Au commencement, il y a l’eau et la lumière, une formule pour titre « CMJN / H2O ». Au commencement, il y a le lieu et son histoire, la Maréchalerie des Petites écuries de Versailles, une forme architecturale qu’Édouard Sautai scrute, un espace qu’il sonde et qu’il sculpte d’absorption et de diffraction colorées au déroulé des heures et des jours.
Il y a le Noir, le bassin empli d’une eau, traitée à l’encre de Chine, un miroir obscur à la profondeur indéfinie dans lequel se reflète la charpente.
Il y a le Cyan, le Magenta, et le Jaune, six vantaux mobiles de Plexiglas coloré aux montants de métal dans l’encadrement de la grande baie que traverse la lumière du jour.
Et la composition des deux, l’architecture incorporée dans une installation totale, immersive.
Il y a le spectre continu de la lumière, un miroir parabolique en point focal.
Après RVB / H2O au Volume à Vern-sur-Seiche où Édouard Sautai interrogeait la synthèse additive des couleurs, la sculpture-architecture de la Maréchalerie questionne la synthèse soustractive, jouant du paradoxe de l’inertie de la page imprimée et des dissemblances dans la gamme des teintes absorbées, réfléchies, réfractées et diffractées variant en fonction de la distance des vantaux colorés aux murs et au plan d’eau et de l’intensité lumineuse aux différents heures du jour.
La porte franchie, le visiteur bute sur le bassin qui occupe la quasi-totalité du sol, le longe, dans un étroit couloir, à droite ou à gauche, saisi et séduit par le vide ténébreux et la diffusion chromatique. L’expérience immersive, physique et esthétique, défie le traitement des informations visuelles en un jeu varié d’apparences dérangées par le changement de point de vue, emporte la perception sensorielle dans la traversée ludique de gammes chromatiques et l’épreuve de volumes en creux insondables. La scène des couleurs, de l’espace et des formes n’est-elle qu’apparences, effets de lumière traduits différemment par chaque visiteur ?
La salle attenante présente la vidéo Still Life, tournée par Édouard Sautai et Raphaël Trapet dans le domaine de Kerguéhennec. Une suite de points de vue sur le parc et l’étang, séparés par un fondu au noir et animés du souffle de l’air et du pépiement des oiseaux, installent le cadre.
Deux porteurs, Katell Hartereau et Léonard Rainis, décrochent un écran blanc translucide du mur de la salle d’exposition. Suit une lente déambulation de l’écran dans le parc, aux couleurs des moments du jour et des saisons, sur la création sonore et la captation du bruissement de la nature et des pas dans l’herbe et les feuilles mortes d’Armand Lesecq.
L’écran intercepte les ombres et les faisceaux lumineux qui traversent les végétaux, les images qu’ils réverbèrent. À la fin de la randonnée, l’écran, appuyé contre un arbre, mêle en surface le reflet des arbres et des feuilles et en transparence l’ombre des herbes dans un dégradé de nettetés et de flous, un feuilleté de profondeur de champ animé par le vent ; vol d’insectes, devant ou derrière l’écran ? La performance revisite et questionne tout autant l’histoire des dispositifs optiques de captation et de projection des flux lumineux, celle des « dessins photogéniques », que les temps de l’image fixe et animée. Elle déstabilise les repères habituels du paysage et esquisse, le temps d’une impression visuelle, les lumières réfléchies, presque imperceptibles, qui participent à la construction de l’image paysagère. La pensée poétique et philosophique des machines de vision, leur expérience par le visiteur s’augmentent ici d’une autre émotion poétique, qui, en aller et retour avec la chambre colorée de la première salle, interroge le temps et l’histoire de la nature morte / vie silencieuse.