Vide et plénitude… tel est le titre d’une exposition qui fait lien entre la Corée et la France.
C’est sous l’initiative de Kim Sou-Hyeon, commissaire d’exposition coréenne travaillant à Paris, que s’élance ce pont enjambant tour à tour les notions de surface, d’ouverture et de lieu.

Surface : la calligraphie de Lee Bae se présente au premier abord pareille à des tâches d’encre sur fond uniforme blanc, puis peu à peu évoque des figures, des potentialités formelles à la recherche d’une vibration avec l’être. Le vide apparent ici, ce fond presque blanc, se livre dans une plénitude : il se veut la scène d’un flux, d’un devenir.
Surface : les peintures de Rémy Hysbergue sont encore soulevées par l’énergie du geste, brassant, zig-zaggant, parcourant, brisé… sur la surface à l’aspect industriel du support. L’idée de plénitude est entendue ici comme un mouvement qui va combler l’espace, l’occuper sans toutefois jamais le recouvrir.

Ouverture : le campus de l’Université Ewha à Séoul conçu par Dominique Perrault est articulé avec le paysage, il distribue des espaces vides qui permettent circulation et passages entre architecture et environnement.
Ouverture : la vidéo Abîme d’un lieu for you d’U Sunok montre l’artiste à travers un geste d’offrande portant au regard des fleurs, un récipient, une bougie, puis seules ses mains vides. La substitution de l’un à l’autre induit une transformation des choses dans le don, l’échange et le contre-don qui instaure la relation à autrui.

Lieu : les toiles de Zong-Dé An révèlent les empreintes de certains objets laissées par oxydation, décoloration, usure. La répartition rythmique de ces traces renvoie à différentes durées, temporalités où la forme a pris naissance et qui ne sont plus à présent que la trace fantomatique d’une plénitude.
Lieu : les installations lumineuses de Michel Verjux bouleversent notre appréhension de l’espace, opérant une inversion de polarité, faisant du vide du faisceau lumineux l’axe plein d’une désorientation.

On l’aura compris la question du vide et du plein n’est plus celle, occidentale, de l’espace comble et du néant qu’avaient mis en scène Yves Klein et Arman à la galerie Iris Clert, Paris (exposition du vide par Yves Klein en 1958, exposition du plein par Arman en 1960) dans le désir de proposer une nouvelle « approche perceptive » sur un réel de plus en plus assailli par la société de consommation. A travers le point de vue coréen, c’est le mouvement, le devenir, le flux et sa manière d’investir un lieu qui confère une lecture sur l’espace, amène une nouvelle conception de l’image. Toute notion de ligne ou de trait devient caduque au profit d’un souffle unissant imperceptiblement l’un à l’autre : l’enroulement d’une ligne en spirale, la disposition harmonieuse d’objets sur un plan, la vibration d’une tâche, la confusion entre intérieur et extérieur. C’est ainsi que des pièces réalisées par des artistes français – moins montrées actuellement car plus lointaines des préoccupations actuelles de la scène artistique – semblent presque comme étrangères, renouvelées dans une lecture, celle de la différence. « Vide et plénitude » agit comme un miroir : les œuvres de Rémy Hysbergue ou de Michel Verjux n’apparaissent plus dans un questionnement sur le support et son immatérialité, sur les conditions de production économique du matériau ou enfin sur les conditions d’autonomie de l’œuvre d’art mais au gré d’une activation, celle d’une figure qui traverse l’espace, le comblant de plénitude par une présence fugitive. Quand réinterprétera-t-on le minimalisme et ses nombreux héritages formalistes à l’avantage du zen ?