Vincent Cordebard, La subversion des jours (peu) ordinaires

Après de longues études de mathématiques qui l’on conduit à l’enseignement Vincent Cordebard s’est consacré à une lente approche de la peinture et de l’art qui s’est d’abord manifestée par un travail de récupération d’images retravaillées graphiquement. Après les images post-mortem d’enfants qui ont donné lieu à sa série « Conversation faite à un enfant mort » il s’est approprié des portraits de gueules cassées qui lui ont permis d’avancer « L’ hypothèse de la guerre ». Dans une certaine logique de l’innommable historique ce sont des représentations de la Shoah qui lui ont permis de produire la série des « Jours sans fin » sous titrée « le Dénombrement des corps » . Ce travail qui s’est prolongé sur vingt ans l’a amené à mettre en avant les tabous de l’image de famille et ses excès sur l’enfance dans un silence complice social et du groupe.

Dans cette nouvelle direction de recherche il en est venu aux « Etudes pour les attentats à la pudeur », elles aussi réalisées en photographies écrites. Parallèlement son action s’est doublée d’une pratique picturale , haute en couleurs où il se réclame de l’influence de Matisse ou de Hélion.Cet ensemble de peintures d’intérieurs sans issues est regroupé sous le titre générique de « Scènes de la vie ordinaire » qui est repris pour son exposition qui s’est tenu de septembre à novembre 2018 aux Entrepôts Tisza, 8 rue Decomble, 52000 Chaumont à l’initiative de Pierre Bongiovanni et de la Maison Laurentine et qui a donné lieu à ce catalogue qui s’ouvre sur ce jeu de mots « quand l’espace manque, franchir l’apporte… »

L’écriture joue un rôle primordial dans l’oeuvre de Cordebard, on le pressent dans son génie à trouver des titres à chaque série, dans la publication des sortes d’aphorismes ou des citations occupent des pages entières en corps 32 pour faire le lien entre les reproductions des différents types d’oeuvres, peintes dessinées ou photo-graffitées. Bien que l’exposition ait eu un caractère rétrospectif il s’agissait pour l’artiste comme pour le commissaire de montrer la puissance expressionniste de l’ensemble. De ce fait des figures réapparaissent récurentes : portraits traits rageusement caviardés, corps masqués sous des textes longuement reproduits , corps suspendus dans des sacrifices violents. Nombreuses sont les figures d’enfance, maitrisées, maltraitées, sous la domination adulte, en co-présence de la cellule familiale, deux de ces images sont ainsi gravées de la sentence « les mots massacrent ».

Plusieurs textes nourrissent l’approche de cette oeuvre puissante : Bongiovanni évoque « l’altérité radicale dans l’oeil du cyclone », le photographe Thierry Girard dénonce « la ruine de l’innocence » et Christian Gattinoni « Les écrans brouillés des jours sans fin ». L’artiste lui-même met en perspective l’ensemble de son approche dans sa propre « Histoire de voir ». S’il désire y « rendre compte de notre quotidien le plus ordinaire » il ajoute « Celui dont on fait semblant, à l’occasion de faits-divers violents de découvrir la monstruosité. ». A partir de ce constat il entre en subversion contre tous les faux semblants comme pour dénoncer l’action sous-jascente de la mort et des renoncements. N’apportant pas à l’art plus de de crédit et pouvoir qu’il n’en a il conclue « une oeuvre ne vaut au final que dans l’espace politique où elle est vue ».