Engagé dans une démarche qui témoignerait du monde du travail contemporain, le photographe Vincent Debanne a présenté dans sa dernière exposition « It’s magic working together » à la galerie Griesmar & Tamer à Paris, deux grands formats (3m/0,90m). Outre l’aspect documentaire de l’envers du décor du stade de France et du cirque du Soleil, la composition de ces deux images rend compte de quelque chose de plus qu’un simple témoignage. Vincent Debanne dit s’inspirer du format des fresques de la Renaissance qui relatent un événement historique.
Le propre d’une fresque est de réunir dans un même espace, le déroulement d’un fait dans ses différentes temporalités, ce qui permet d’en lire la trame en un regard. Mais pour ce faire, la composition joue un grand rôle, à savoir que ce qui occupe le centre de l’image opère une sorte de fascination tout en organisant l’image en scénettes.
Dans Le cirque du Soleil, l’image du dispositif technologique de l’envers du décor du cirque met au centre et au premier plan une sorte de gros tuyau souple et blanc que l’on suppose correspondre à la ventilation du chapiteau qui se trouve au second plan. D’emblée le ton de l’image est donné pour une lecture possible. Le cirque du Soleil nous apparaît alors comme une grosse machine sous respirateur artificiel qui nous place dans une vision presque clinique, chirurgicale, le tout renforcé par la présence du blanc immaculé du paysage high tech qui l’entoure. Dans ce monde désaffecté et froid, deux hommes, l’un juché sur une machine de nettoyage et l’autre portant sur sa combinaison l’inscription security redoublent cette impression d’un monde dit moderne, sans doute efficace mais sans émotion. Bien sûr c’est l’envers du décor, avant ou après le spectacle, sans les spectateurs. Seule la discrète présence des caravanes sur la droite de l’image nous rappelle qu’il s’agit d’un cirque, et de plus celui du Soleil, la tension réside dans cette juxtaposition qui fonctionne comme un oxymore visuel.
Dans Le Stade de France, le découpage de l’image se compose à partir de la présence rythmée de panneaux de bois brun, dont l’un est central, qui occupent presque toute la verticalité de l’espace. Entre les panneaux apparaissent en second plan un enchevêtrement de grillage, de barrières de métal, le tout hérissé de poteaux qui supportent des spots, des haut-parleurs ou le fanion de la marque rouge d’une boisson qui se veut universelle. D’emblée la lecture de ce dispositif dit panoramique, provoque un mouvement de recul tant le premier plan très frontal aurait tendance à nous boucher la vue, à empêcher d’entrer dans ce décor, comme pour dire « Circulez il n’y a rien à voir ». Le stade de France, une forteresse bien gardée que souligne la présence de la police montée dont les chevaux ont la même couleur que les panneaux de bois, participe et renforce cette impression. La présence, sur la gauche d’un chapiteau blanc, le même que celui du Cirque du soleil, semble faire le lien entre les deux images, entre ces deux univers du spectacle. Seule un morceau de courbe et une parcelle de gradins vides nous évoque le stade de France.
Uniformité, répétitions, couleurs bi-chromes, géométrisation de l’espace architectural, machinerie high tech, frontalité du décor se retrouvent dans ces deux images et constituent l’envers du décor du spectacle. Le grand format témoigne une exagération de la réalité voulue par Vincent Debanne, afin d’intensifier ce qu’il nous donne à voir, un format monumental nécessaire pour déployer la complexité, l’accumulation jusqu’à la saturation, comme pour en montrer le plus possible, pour remplir le plus d’espace, pour frapper, capturer le regard. Ces images efficaces, savamment articulées et construites de l’envers du décor du spectacle du monde nous révèlent aussi l’aliénation à laquelle nous sommes arrivés et que pourtant que nous avons façonnée.
Mars 2008