Visite Virtuelle de la Villa Verveine. Les endroits où l’on n’est pas allés sont les endroits dont on rêve

« Comme beaucoup de femmes de mon âge, mes œuvres de jeunesse sont personnelles. Mais nous avons appris à cacher cet aspect des choses par crainte que notre travail ne soit pas reconnu ou pris au sérieux » Harmony Hammond, in Harmony Hammond, Ten Years, 1970-1980, Catalogue d’expo, Minneapolis, 1981.

Se cacher pour faire, cacher ce que l’on fait, montrer ce que l’on cache, faire envers et contre tout. Caroline Dahyot est propriétaire de la Villa Verveine à Ault dans la baie de Somme, elle y vit, y œuvre et l’espace tout entier est devenu sa création, des murs aux plafonds, tous les recoins, tous les supports accueillent les présences colorées imaginées par l’artiste, même la façade, même le grand container gris qui sert de poubelle quoi qu’aient pu en penser les habitants. La Villa Verveine est une œuvre à part entière, un tout qui excède le seul assemblage des éléments qui la composent. 

De nombreux articles ont été consacrés à Caroline Dahyot ainsi que quelques vidéos dont un film de Gérard Rauwel disponible sur Youtube, où l’on entend l’artiste parler de sa pratique « La villa se situe au 21. Dans le tarot de Marseille le XXI est la carte du monde. En emménageant ici, je me suis dit, puisque je n’arrive pas à aller dans le monde, le monde viendra jusqu’ici. » De guerre lasse, faire œuvre de chez soi, c’est questionner la diffusion, son ampleur, sa modestie, sa fragmentation. Quoique l’artiste puisse inviter qui elle veut chez elle, qu’elle fasse également la visite de sa maison sur rendez-vous, et y expose une fois l’an les travaux d’autres artistes, personne ne verra jamais l’intégralité du lieu toujours en évolution, insaisissable palais de miroirs qui appelle le regardeur à l’humilité d’une œuvre non pensée pour lui, potentiellement sans partage, ni publicité, équivoque par essence. On pense alors à la notion de happening, d’Allan Kaprow qui naît en 1957 en réaction à la marchandisation de l’art. La villa est une forme qui a bien sûr un potentiel muséal et touristique mais elle résiste à toute facilité, demeure hybride et singulière.

Maison hantée de visages peints et de souvenirs rêvés, la villa Verveine est l’espace de projection d’une intériorité, donnant à la maison un sens métaphysique. « C’est un journal intime, mais c’est également parfois des engagements (la maison en elle-même est mon engagement de liberté) » m’explique Caroline Dahyot dans le cadre d’un échange de mails. En écho à la citation de l’artiste féministe Harmony Hammond, une œuvre peut-elle rester personnelle ? C’est une manière de redéployer le questionnement central de l’Art Brut. Chez soi, pour soi, sans cacher que ça existe, sans fermer définitivement la porte mais sans calibrer sa production dans une logique d’exportation. Heureusement rien n’est simple, la Villa Verveine a ses dépendances. De ses murs, naissent encore d’autres formats, poupées, peintures qui peuvent s’exposer ailleurs, qui circulent et s’autonomisent à l’égard de leur créatrice en intégrant des collections publiques et privées. Plus encore, l’artiste communique sur son travail, son profil Instagram est riche des productions du quotidien. L’œil y entre selon les modalités choisies par l’artiste, tandis que la documentation s’accumule et constitue pour le regard extérieur le paysage d’un monde flottant que l’on saisit au vol ou plutôt que l’on fantasme par reflets successifs : une carte postale en cours, un escalier central, une chambre mansardée, un fauteuil recouvert, une chaise tricotée, un chat qui passe.

La Villa Verveine est une maison vivante, dont l’artiste se considère comme un organe, et l’on s’interroge sur sa vie quotidienne. L’artiste affirme que « ce sont peut-être les chats qui sont le plus à même de supporter mon univers. » Comment l’inspiration peut-elle revenir dans un espace saturé de sa propre création ? Comment la pratique de Caroline Dahyot avance en partie d’elle-même, par-dessus, par-delà ? L’artiste rappelle que son art est lié à l’émotion, comme une respiration avec le monde qui l’entoure « quel que soit l’environnement, ce sera transformé en créativité. […] Toute situation est une source inépuisable si nous la mettons en lumière. » 

Quand on a parlé de la villa en tant que dispositif, on n’a rien dit de ce qu’on y voit, de ce qui y pousse. L’univers de Caroline Dahyot est aisément identifiable par son style et ses couleurs, beaucoup de roses et de jaunes délayés de bleus, des cœurs, beaucoup de cœurs, des cœurs partout, roses et bondissants, par kyrielle ou surplombant une scène. L’amour est au centre et concerne la vie même. « Je dessine énormément de scènes de mariage, de couples. C’est une façon de sortir du patriarcat en interrogeant la place que je désire dans le couple, les rapports de domination et de soumission. J’interroge et avant tout m’interroge sur chaque lien à l’autre, dont mes enfants. » m’écrit également Caroline Dayhot, très accessible et encline à échanger sur son œuvre. Au-dessus de cette foule bigarrée des proches, dont sont les enfants, les ancêtres et les chats, brille le soleil pour la vie abondante et des auras pour la protection. Cette œuvre existentielle a ses vertus thaumaturges pour celle qui a « fait cette maison pour ne pas être tuée ». 

Dès l’enfance en région parisienne, le dessin se révèle pour Caroline Dahyot, un moyen d’entrer en relation avec les autres. Elle étudie à l’école d’art Maryse Eloy, mais l’influence de son frère punk et une période de grande anxiété où elle est en proie à des hallucinations, la délestent de toute attente académique. Elle travaille alors quelques années comme gardienne au Centre Pompidou, puis s’installe en 2001 à la Villa Verveine à Ault en Picardie qui devient le libre espace de sa création. Œuvre d’art en constante évolution, la Villa Verveine accueille également d’autres artistes lors d’une exposition annuelle. Défendue par Bruno Montpied, l’œuvre de Caroline Dahyot se présente également en dehors de la Villa Verveine dans le cadre d’expositions internationales (Biennale Hors Norme de Lyon en 2015, Outsider Art Fair de New York en 2016, Galerie des Nanas à Danville au Québec en 2016) et figure dans des collections publiques (Art et Marges Museum de Bruxelles, Musée Art et déchirure de Rouen), comme privées (Alain Bouillet, Marion et Ludovic Oster).