Voir n’est pas rencontrer. Les affiches de Michal Batory issues d’une tradition du graphisme polonais sont des lieux de rencontres. Ces véritables petits bijoux d’ingéniosité rhétorique servis bien frais nous proposent différentes lectures, nous questionnent sur nos rapports aux objets et inversement. Un dialogue affectif et mémoriel appuyé par un langage proche de la musicalité. Universel ?

Aurélien Bidaud : Votre méthode de production consiste à récupérer des objets de votre environnement quotidien. Vous recycler en quelque sorte.
Est-ce dans ces objets que vous trouvez vos idées « 
ou au contraire, sont-ce vos idées qui vont au devant de ces objets »

Michal Batory  : Les objets sont le lien entre la vie quotidienne et les idées que je mets en scène. Dans nos foyers, nous sommes entourés d’objets, qui ont leur propre histoire, et à laquelle nous sommes attachés. Notre rapport à l’objet est très affectif, ainsi le même objet d’une personne à l’autre n’aura pas la même signification. C’est ici que tout se joue : comment dépasser le sens, ou la fonction d’un objet qui nous est quotidien ? Garder le signifié, détourner le signifiant. C’est donc de cette manière que je sélectionne les objets dans mon travail, ceux qui me permettent d’en dépasser le sens.

AB : Dans vos affiches, vous communiquez (particulièrement celles réalisées pour les théâtres de la Chaillot) le plaisir que vous avez de jouer et même de déjouer les figures de rhétorique.
Est-ce là, la condition sine qua non de votre création « 
Le jeu est-il nécessaire à votre processus créateur »

MB : On peut effectivement trouver mes images ludiques puisque la démarche l’est. Je me plais à agencer ou dénaturer des détails de corps, mêler des plantes, effectivement de jouer avec les sens perceptifs. Et si je « prends du quotidien » pour l’extrapoler ou le déjouer, c’est aussi par soucis d’accessibilité, de poser des références formelles claires et identifiables pour tout à chacun. Ainsi, la métaphore permet une jonction entre l’émetteur (l’affiche) et le récepteur (l’individu), mais appelle également une réflexion sur l’image, à savoir comment, et pourquoi cet objet se joue de nous. C’est une invitation à l’évasion qui interpelle, à laquelle les gens participent activement. Provoquer l’éveil du fond et de la forme est, je pense, un discours pédagogique.

AB : Quels artistes contemporains vous inspirent ?

MB : J’aime énormément les travaux de Beuys fait parti de mes livres de chevet. Tout ces artistes m’inspirent beaucoup, j’essais d’ailleurs de suivre toutes les biennales, je vais à Lyon, à Venise, je ne loupe aucune Documenta. Je me nourris surtout d’art contemporain.

AB : Envisageriez-vous de réaliser un projet artistique ?

MB : L’affiche ne me le permet pas, c’est un métier à part. En revanche, je suis attiré par le court-métrage, ainsi que le travail d’équipe que cela sous-tend. J’ai fait quelques scénarios expérimentals , j’ai pris des cours de montage, j’aimerai vraiment m’y atteler sans pour autant avoir une optique professionnelle, mais ça m’intéresse énormément !

AB : Quand estimez-vous qu’une affiche est réussie ?

MB : A l’instinct, à l’intuition. En rien ceci me parait raisonnable.

AB : Depuis Mai 68, les graphistes ? Roman Cieslevicz » entre-autres pérpétuent une tradition française d’affichistes engagés. Etes-vous engagé « 
Le graphisme d’auteur se doit-il d’être critique »

MB : Politiquement, j’ai fuis le communisme de Pologne, et je ne peux adhérer à cette idéologie, cependant je me situe socialement à gauche. Par ailleurs, je n’ai participé à aucune grande lutte politique. Chacun d’entre nous s’exprime à sa manière, ainsi, le travail engagé de ? Graphistes associés » est remarquable. Pour ma part, je préfère communiquer hors des contextes politiques. Nous sommes actuellement envahis d’affiches commerciales médiocres, qui polluent l’esprit et le paysage urbain. Mon engagement serait de faire des affichent sensibles et intelligentes, d’éduquer le regard, qu’il y est une réaction.

AB : D’ailleurs la majeure partie des affiches saturant les espaces urbains sont à but consumériste et ne dégagent aucune inventivité, aucune créativité. Les populations métropolitaines se plaignent de cette médiocrité, et parfois appèlent à l’activisme anti-libéral. A l’inverse, des affiches culturelles, souvent d’auteurs, n’ont que peu de visibilité.
En tant qu’acteur, quel regard portez-vous sur ce phénomène ?

MB : Je trouve qu’il y a bien moins d’affiches culturelles en Angleterre et en Allemagne qu’en France. Nous ne sommes pas si mal lotis que cela. Les théatres ont ici de bonnes surfaces d’affichage : le métro, mais aussi les colonnes Morris. Pour ce qui est de l’activisme, plutôt que de dénoncer la médiocrité, je préfère montrer que l’on peut faire autre chose, garder une attitude positive en responsabilisant par la critique. Noyé dans ce flot d’affiches sans aucune portée, il faut être exigeant. Pour tout dire, mes confrères et moi savons que la seule concurrence qui soit est l’absence de qualité, la mauvaise image, et nulle pensée. Les gens ne s’y trompent pas.

AB : Quel regard portez vous sur la création numérique « 
Quels sont vos critères pour juger d’une création »

MB : Bien que je sois « assisté » par l’ordinateur, mon travail n’en reste pas moins artisanal. Je pense que les métiers du numérique, particulièrement le métier du Web sont intimement liés à la technologie, du débit de données précisément. Ce nouveau médium qu’est Internet est né avec ce problème de débit qui fut extrêmement contraignant pour le design et l’architecture d’un site. Ajoutez à cela les problèmes de visibilité d’une page Web qui doit être compatible avec différents navigateurs et différentes résolutions d’écran. Comme tout nouveau support qui draine son lot révolutionnaire de communication.

AB : Ces mêmes contraintes ont également développées un style graphique.

MB : Oui, et c’est tant mieux ! Chaque nouveau support, par extension chaque révolution est porteuse de qualité malgré les peurs qu’elle véhicule. Avec l’apparition de la vidéo, les cinéastes y voyaient la fin du cinéma, ils avaient tort, ça n’a absolument pas perturbé cet art, bien au contraire. On nous tient le même discours avec le cinéma numérique dans lequel se substituerait l’acteur par le personnage virtuel. Je me souviens également du vieux débat « face aux écrans, la mort du papier » . Et pourtant, il n’y a jamais eu autant de livres vendus qu’actuellement. N’y a-t-il pas là une nouvelle dimension au service de la perception ?