La dimension critique du réseau

Revue d’art depuis 2006

Voir et faire voir

De La Chaux-de-Fonds à Besançon, le long de la voie ferroviaire reliant la Suisse à la France, Hervé Dez et Pablo Fernandez ont passé trois années à photographier ce territoire frontalier, avec son architecture, ses paysages, et les individus qui y vivent. Nous ne faisons que passer, publié par Tulipe Mobile, est un ouvrage composé de sept petits cahiers comme autant de stations esquissant ce voyage.

Parce qu’un jour l’œil sera rattrapé par le temps, Hervé Dez et Pablo Fernandez ont choisi d’immortaliser l’espace qu’ils ont traversé, les êtres qu’ils ont croisé. Deux regards sur un même territoire n’en font plus qu’un, parce qu’ici, on ne s’amusera pas à distinguer qui est l’auteur d’un cliché ou d’un autre. Les deux hommes ont pénétré dans les lieux de formation du territoire parcouru, sont allés à la rencontre des corps qui habitent ces espaces, comme si un lien secret les unissait. Voici les corps qui font ce paysage, à moins que ce ne soit le contraire.

On pense à une version contemporaine des Vies minuscules de Pierre Michon recouvrant par sa plume les existences d’autrefois, les vies anonymes que l’histoire ne retient pas. Nul enjolivement de cette jeunesse au labeur. Les images des travailleurs d’August Sander font office de première référence mais les corps ont changé et les machines sont partout. Un jeune étudiant de l’Ecole d’Industrie Laitière à Mamirolle, en couverture du sixième volume du catalogue, rappelle les créatures hybrides du Cremaster cycle de Matthew Barney. Homme au travail, machines devenues prothèses du corps à l’œuvre, Nous ne faisons que passer s’attache à l’industrialisation du territoire.

Rien de touristique, ni de folklorique, ne vient rappeler le passé du lieu ou ses attraits supposés. Hervé Dez, a beaucoup travaillé sur les effets des transitions sociales et économiques en Europe de l’Est et du Sud-Est. Nous ne faisons que passer s’inscrit aussi dans cette perspective documentaire. Graffiti, devantures closes, soleil absent, barres d’immeuble, l’œil arpente Besançon dans une ambiance post-industrielle. Même regard porté sur La Chaux-de-Fonds où les clichés racontent les bureaux abandonnés, les rues désertes, où seul le bowling apparaît peuplé et chaleureux.

Le titre du catalogue renvoie aussi à cette dimension descriptive, rappelle le photoreportage et rassemble deux tendances fortes : celle de l’école de Dusseldorf, son désir d’objectivité, son obsession pour l’architecture, sa tension vers l’abstraction et celle de l’instant décisif où le photographe s’immerge avec les personnes, semble en partager l’existence, le mouvement.