« Ultimes jours pour voir ou revoir l’exposition Fromanger au MNAM Centre Pompidou
A défaut, voir le documentaire de Serge July, son ami de longue date, pour découvrir l’itinéraire de cet artiste haut en couleurs et ses relations avec le mouvement de la figuration narrative. Fromanger partage sa vie entre son atelier à la Bastille et celui perché sur une colline proche de Sienne, par amour pour la civilisation étrusque et leur bonheur de vivre et pour les fresques sur le « Bon et le mauvais gouvernement » au Palazzo Pubblico de Sienne, premières grandes fresques laïques réalisées par les frères Lorenzetti, au cœur du XIVè siècle.
« Entre Picasso et Duchamp, la piste Fromanger » un documentaire de Serge July et Daniel Ablin sur ARTE
Ou comment à force de ruptures et d’affirmations et d’explorations toujours renouvelées, Gérard Fromanger s’est hissé aux sommets de la gloire, comme en témoigne cette grande rétrospective au Musée national d’art moderne-Centre Pompidou du 17 février au 17 mai 2016 : aune explosion de couleurs primaires qui peuplent une oeuvre novatrice, engagée et résolument jubilatoire.
Pour Fromanger, nul doute que l’art de la peinture ne soit d’abord génétique : sept générations de peintres l’ayant précédé, il est entré en peinture dès son plus jeune âge, quitte ensuite à en assumer tous les risques.
La peinture d’abord, et tous les risques :
Ainsi à 17 ans , défié par son père de faire rapidement son portrait pour obtenir de lui l’argent nécessaire pour aller voir les Rembrandt à La Haye, il le croque en 3 minutes, part, découvre en fait Vermeer, lui rend l’argent une semaine plus tard et disparait pour longtemps de la cellule familiale. Affirmation d’un caractère bien trempé : Fromanger s’est toujours battu pour affirmer sa vocation et chercher sans cesse des voies nouvelles au risque de ruptures périlleuses pour une vie d’artiste le plus souvent en butte à la précarité matérielle, en particulier en ses débuts.
Voir la conclusion de son aventure de quatre ans avec la prestigieuse galerie Maeght où l’avait pourtant parrainé le poète Jacques Prévert son premier grand ami ainsi qu’Alberto Giacometti, admiratif comme le sculpteur César de son talent de dessinateur (celui-ci lui prêta même son atelier pendant 2 ans pour explorer à fond le dessin). Mais voilà qu’en 1967, Aimé Maeght qui vendait bien ses toiles de « nus gris » refusa sa nouvelle orientation picturale. Sauf que le jeune artiste qui souhaitait explorer la couleur et introduire en particulier du rouge, se montra intraitable : « je voulais être peintre et non pas marchand » affirme-t-il. Quitte à sacrifier le destin glorieux qu’Aimé Maeght lui faisait miroiter, en 1967, Gérard Fromanger rompt avec « la plus grande galerie du monde ».
Il ressort cependant de l’ensemble de son parcours que chacune de ces ruptures fracassantes lui ouvre de nouvelles voies qui s’avèrent bien plus riches à explorer. Dès l’année suivante, l’explosion de mai 1968 propulse bientôt Fromanger au premier plan de l’Atelier populaire des Beaux-Arts car il est très engagé dans les mutations sociales. Il projette de composer une affiche avec un drapeau qui saigne. Refusé par ses pairs ! mais ce projet attire l’attention de Jean-Luc Godard, qui en fait le film-tract n°1968. Aujourd’hui, un film culte.
Ainsi Gérard Fromanger a commencé à être connu dans les années 1960, alors que la génération pop qui triomphait en Grande Bretagne et aux États-Unis prend en France le nom de Figuration narrative. On sait que ces deux mouvements artistiques ont en commun d’avoir pris la société de consommation et la société médiatique comme sujets exclusifs pour en souligner les excès et l’état de « réification » auquel les consommateurs sont conduits.
À la fois figurative et conceptuelle, dans la lignée de Picasso comme de Duchamp, son œuvre multiplie avec audace les chemins de traverse entre ces deux conceptions de l’art. Son langage pictural orchestre sans relâche des silhouettes dans la foule – emblèmes iconiques de sa peinture – prises dans un jeu de lignes et de réseaux (les rhizomes de Deleuze et Guattari, les deux philosophes amis du peintre), toutes porteuses de couleurs primaires, où souvent le rouge domine – le célèbre « Rouge Fromanger » selon l’appellation donnée par Prévert comme s’il s’agissait d’un prénom » (1).
« Gérard Fromanger, l’un des rares peintres d’histoire de la 2è moitié du XXè siècle » (Christian Bernard, MAMCO)
Pour Fromanger, la peinture est un médium capable de décrypter, de penser et faire voir les mutations du monde. Le documentaire de Serge July et Daniel Ablin remonte ainsi à la source de ce langage, le décompose et le reconstruit. Tourné au milieu des foules de Paris (que l’on voit évoluer dans ses séries Bastilles, Rhizomes Pastel-Café, Boulevard des Italiens) mais aussi auprès de Sienne, où Fromanger s’est mis à distance du monde à partir des années 1980, « pour mieux percevoir l’énigme du monde » dit il, ce documentaire fait dialoguer le peintre avec plusieurs personnalités du monde de l’art dont Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la culture devenu commissaire d’expositions remarquées ( plusieurs de l’oeuvre de Fromanger), l’historien d’art Jean-Luc Chalumeau qui lui a consacré plusieurs textes, notamment dans son livre sur « la Figuration narrative », le conservateur Michel Gauthier, commissaire de son exposition au MNAM – Centre Pompidou, l’historien et critique d’art Olivier Zahm qui parle si bien des foules dans sa peinture – « ces silhouettes, peuvent-elles encore faire un peuple ? », ou Christian Bernard, directeur du MAMCO à Genève jusqu’à fin 2015, qui évoque en particulier l’importance de Fromanger comme « l’un des rares peintres d’histoire de la 2ème moitié du XXè siècle, qui fasse désormais référence grâce à l’immense tableau qu’il a composé lors de la première Guerre du Golfe lancée par les Etats-Unis contre le Koweit » – De toutes les couleurs – peinture d’histoire 1991-1993. – Dans le documentaire, l’artiste explique l’origine de ce tableau, son effroi de voir réapparaitre un nouveau grand conflit planétaire, le premier depuis la Seconde guerre mondiale, et comment il a voulu témoigner de l’état de notre civilisation qu’il peint « ensanglantée », y compris, 10 ans avant leur destruction par Al Qaida, les Twin Towers de New-York.
Faire de sa toile la peau du monde :
Un documentaire né de la longue amitié de Gérard Fromanger et de Serge July, qui lui a déjà consacré un superbe livre (2) Entre son atelier parisien à la Bastille, et celui magnifique, de la campagne toscane sur les hauteurs de la colline de Montauto près de Sienne, son lieu de refuge et de solitude pour, dit-il « mieux explorer l’énigme du monde », l’œil scrutateur de la caméra fait aussi voir au travail : du premier coup de crayon au dernier coup de pinceau on le voit travailler ses couleurs avec une précision amoureuse, comme autant de caresses sur une peau – car tout vibrant de l’histoire de son temps Gérard Fromanger fait de sa toile la peau du monde.
(1) que j’ai cité dans mon livre « le Goût du Rouge », au Mercure de France, 2013
(2) Fromanger, Cercle d’art, 2002, aujourd’hui épuisé