L’exposition de Wilmer Herrison se tient à la galerie Nery Marino (Paris) jusqu’au 16 novembre. Elle a pour titre « Fusion optique ». L’artiste est né a Maracaibo au Venezuela il y a 40 ans ; il vit et travaille en France depuis de nombreuses années. Tout en mettant en place un processus créatif personnel, il inscrit sa pratique personnelle dans le prolongement du mouvement de l’art optique développé par ses compatriotes Jesús-Raphaël Soto et Carlos Cruz-Diez. Son travail a très vite obtenu une reconnaissance lors d’expositions dans son pays natal et en Europe, notamment à Paris et à Venise.

Wilmer Herrison a développé une technique singulière qui associe, dans le temps de la genèse de l’œuvre, un travail de la matière picturale, les effets de la couleur et une pratique de dessin particulière. L’artiste trace dans la peinture fraîche de longues lignes rectilignes distribuées en réseaux croisés. Ici le dessin n’a pas de fonction séparative mais acquiert sa propre autonomie comme « objet linéaire ». Toutes les peintures de cette exposition sont constituées de la superposition de réseaux de lignes parallèles qui se croisent pour créer dans l’espace peint des effets de profondeur, sans recours à une quelconque perspective. Le fort effet visuel est obtenu par cet « autre » dessin va au delà des caractéristiques habituelles : limite et contour.

Un dessin incisif

La pratique graphique de cet artiste est singulière, elle est faite dans le second temps avec un outil incisif. Il commence par utiliser des raclettes ou des couteaux à peindre pour enduire sa toile d’une couche de peinture onctueuse puis, en faisant pivoter sur la tranche le même instrument, ou en en choisissant un autre plus long, il trace ses lignes droites parallèles qui pénètrent la matière picturale encore fraiche. L’opération fait alors ressortir la couleur enduite en sous couche. Les tracés incisifs de Wilmer Herrison sont des dessins de peintre, des dessins « dans » la peinture. Ils viennent lutter contre l’épaisseur de la couleur-matière et éprouver l’efficacité couvrante des liants onctueux.

Le dessin incisé qui intervient sur un fond antérieurement matérialisé favorise la remontée visuelle des arrières fonds. L’action graphique de l’artiste est un geste contre quelque chose, contre la matière picturale qui recouvrait uniformément la toile. Il ne dessine pas en l’air, il lui faut une résistance, il faut quelque chose à transformer. C’est dans l’action que va apparaître la signification. Par la répétition de gestes incisifs semblables un basculement est opéré. De physique l’opération est devenue métaphysique. La peinture ainsi mise à l’épreuve des gestes traçants donne à voir et à penser. L’œil du regardeur est sollicité pour des multiples aller-retour dans l’espace du tableau au risque de se perdre donc de douter de sa capacité à bien se situer entre ces profondeurs optiques et picturales.

L’arrivée de la couleur

Par ses séries d’incisions parallèles l’artiste laisse des traces successives de son engagement. Le mot trace réunit l’idée d’inscription et celle d’effacement (les monuments sont des traces des civilisations disparues). Ces traces incisées sont à la fois inscriptions d’une présence et d’une absence. Par delà la répétition chaque marque est singulière. Wilmer Herrison travaille les deux éléments de la peinture, le dessin et la matière, devenus solidaires et indivisibles et ce sans que jamais l’un ne se substitue à l’autre. Il ne néglige pas la couleur, elle arrivera un peu plus tard.

L’écartement de la peinture fraîche par le tracé incisif ne dure qu’un temps. La matière picturale referme ses lèvres sur la brèche faite par l’outil favorisant un retour vers le fond matiériste initial. Cela provoque une réaction graphique de l’artiste qui procède à un nouveau lancé de traits parallèles qui, avançant vers le spectateur, installent de la mouvance à l’intérieur de l’œuvre. Entre les premiers tracés sur lesquels les bords de peinture se sont presque refermées et les derniers parfois chargés de couleurs vives (jaune ou rouge) le temps vient s’inscrire dans le tableau (Reflejo optico amarillo, 80x80cm). L’expérience a montré à l’artiste que le même instrument qui incisait la couche picturale peut devenir aussi celui qui dépose une fine ligne de couleur vive. Par une suite d’actions traçantes des réseaux de couleurs avancent vers le spectateur. Dans certains tableaux, comme Sans titre, 90×90 cm ou Ilusion optica, 100×100 cm, l’effet optique est d’autant plus fort que les lignes de couleurs s’émancipent d’un fond sombre. Toutes ces œuvres conjuguent un fort effet de réel à une illusion tridimensionnelle.

Les opérations plastiques menées par l’artiste prennent sens dans la construction d’un espace comme savoir, un savoir qui, depuis la remise en cause de celui élaboré à la Renaissance n’est plus fixe, mais en perpétuelle modification.

Les grilles

Cette série de peintures carrées se caractérise aussi par l’usage de la figure de la grille. On peut considérer que celle-ci est déjà présente dans le choix du support : des toiles carrées montée sur châssis de tailles différentes. Durant la genèse de ces peintures les tracés, souvent perpendiculaires, sont multipliés jusqu’à faire perdre une claire vision de ceux-ci aux spectateurs. L’œuvre Sans Titre, 80×80 cm, acrylique sur toile comprend plusieurs séries de tracés orthonormés parallèles aux bords du châssis mais se termine par le croisement d’une double lancée oblique. Le titre donné à l’exposition Fusion optique trouve aussi son origine dans cette « perte de la distinction entre plusieurs entités » du fait des multiples jeux de superposition.

La figure de la grille se voudrait unitaire. Elle propose l’expérience d’un espace mesuré au travers d’une géométrie exemplaire tracée manuellement. Les tracés instrumentés restent sensibles sans impliquer de la part de leur auteur une expression émotionnelle personnelle. Si l’espace créé ici reste très vivant cela tient sans doute à ce que Wilmer Herrison ne propose pas une grille unique et stable comme souvent chez Mondrian mais une superposition de grilles orientées dans toutes les directions. Le mouvement qui les a générées ne semble pas les avoir quittées. En plus de leur rôle dans la construction de l’espace pictural, elles sont aussi les traces mémorielles du temps de la création. Les figures multipliées des grilles restent de pures abstractions, elles ne renvoient pas même de loin à quelque élément du réel (nature ou architecture).

Par-delà le motif régulier et répété, les grilles de cet artiste montrent la diversité qui peut être obtenue à partir de propositions plastiques semblables. Elles ont aussi un portée symbolique : la diversité de leurs libres assemblages témoigne des possibilités multiples offertes par une société ouverte.

Il faut pour terminer dire combien ces grilles ne sauraient être les grilles de prison, ni même des grilles de fenêtres. Bien au contraire ce sont des appels, des invitations pour une exploration par les visiteurs des diverses propositions de mondes que l’artiste leur propose. Cela se passe librement, il n’y a pas de point de vue privilégié ; les œuvres peuvent être vues à distance, de face comme de biais, mais c’est en s’approchant que le regardeur parviendra, pour son plus grand plaisir, à se perdre dans les profondeurs de la peinture.