Xavier GENEAU , Deambulo, une exposition parcours

Xavier Geneau donne à voir, à la galerie de L’H du Siège (Valenciennes), une sorte de démonstration d’atelier : des pièces de petite taille constituées d’éléments emboités les uns dans les autres sont posées à même le sol. Isolée dans un renfoncement de la galerie, une installation à hauteur d’homme contient à son tour certains de leurs emboîtements.

Il met en interaction un vocabulaire de formes – cubes et de sphères – de forces – un poisson qui tourne dans son bocal, un hamster qui galope dans sa roue – de révolutions – le mouvement planétaire, le Rubik’s cube (dont le but est d’être constamment résolu), l’action de tailler un crayon (dans un globe terrestre qui lui ne tourne pas, tenu dans le poing) ; Xavier Geneau imbrique différentes représentations des savoirs et techniques dans une logique étrange, convoque la géométrie à la mécanique pour lier entre elles des formes qui ne communiquent pas et entraine ainsi notre regard dans un univers d’atomes, de planètes et d’animaux domestiques dans un grouillement grippé, doucement cataclysmique.

« Aquarium » (2010) est une succession de bocaux emboîtés les uns dans les autres, par un procédé que leur transparence trahit : tous ont été brisés puis recollés les uns après les autres, au-dessus et autour de leurs successeurs. Cette pratique de l’emboitement se complique ensuite avec l’apparition de moulages qui cohabitent avec leurs originaux comme par exemple, dans « Football-3 » (2009) où ces derniers sont identifiables, au-delà du titre de la pièce, par leurs formes polygonales colorées cousues entre elles (notamment le célèbre damier à motifs pentagonaux noirs et blancs).

Plusieurs de ces ballons colorés, banals, sont alignés par ordre croissant. Le dernier de cette suite (c’est donc le plus grand) aboutit à son double en porcelaine (de même taille, il en reproduit exactement les aspérités). Or cette forme, juxtaposée à la succession des ’ballons ronds’, en contient la succession-même, l’ordre logique, puisqu’elle les contient en fait tous. Elle en est la synthèse. En effet, ces boules pleines, fermées, gonflées, ont fait l’objet de moulages et du plus petit au plus grand, chacun de ces moulages a été enfermé dans le suivant sur le modèle des poupées russes. Cependant, là où les exemplaires originaux arboraient des motifs colorés, les versions en porcelaine ont été percées. Ainsi, à travers ces polygones évidés, on aperçoit la peau du ballon suivant jusqu’à entre-percevoir un centre, vide.

La pratique de l’« automoulage » (par l’entremise de la technique du « moule à pièces ») permet enfin d’évacuer les vides, le jeu. Dans « Boule à facettes » (non daté), le moulage d’une boule à facettes s’ouvre sur le moulage d’un crâne, lequel s’ouvre sur le moulage d’une orange, celui d’un Rubik’s Cube, d’une noix, d’une archétypale « boule bleue », d’un pépin de citron, d’une graine pour poisson. Chaque moulage est ici plein du moule de l’objet suivant et en englobe la forme, comme s’il la générait.

Si l’on reconnaît plusieurs de ces objets pour ce qu’ils sont, c’est avant tout pour leur propriétés géométriques qu’ils semblent échouer dans cette chaîne de formations. Le ballon de foot est là parce qu’il est géode (assemblages de polyèdres pour former une sphère), c’est sa caractéristique dominante, elle justifie la pièce. Rebelote avec la boule à facettes, le cube de Rubik, le bocal contenant les poisson ou le téléviseur autorisant le hamster. Ces « ready-made » triturés, décomposés jusqu’au cube ou à la sphère, reviennent en leitmotivs peupler cette sorte de super-œuvre qu’est « Planétarium ».

On fait un net distinguo entre ces formes ’pures’ et leur usage, leur signifiant, leur usage qui les date, d’une manière ou d’une autre (telle la représentation du globe terrestre kitsch : réduite à l’échelle et la fonction d’un taille crayon). « Sphère » (2007) fonctionne comme les découpes de Gordon Matta-Clark où l’on reconnaît tel motif de papier peint des années 1970. Dans le labyrinthe de Xavier Géreau, une esthétique s’impose, qui interpelle le regard contemporain baigné de révolutions électroniques, possède le recul d’identifier des antiquités informatiques, reconnaissant que l’appareil-photo moulé par l’artiste est obsolète, reconnaîtra en son « Rubik’s cube » un casse-tête teinté des années 1970 qui l’ont vu apparaître, projettera dans les boules à facettes l’ambiance des boîtes « disco » et verra dans la représentation de la planète sous la forme d’un globe de 32,5 cm de diamètre monté sur un pied en permettant la rotation, le laboratoire qu’était son bureau d’écolier dans les années 1980, fin de siècle marquée par l’apparition puis la prolifération d’écrans de plus en plus plats.

Le « Planétarium » est installé derrière un rideau, dans une obscurité propre à accentuer les effets mouvants d’ombre et de lumière qui en émanent. Il faut attendre quelques minutes face à cette installation électrique pour assister à la révolution d’une forme concave autour d’un assemblage de curieux rouages. Cette sombre parabole coiffe un univers scintillant, comme un couche lunaire. On y reconnaît un système de base fixe et un système en mouvement. Le système en mouvement se compose de lumières et d’être animés par un mouvement de révolution. De l’infra au supra, de la sculpture au dispositif, du motif à une mécanique complexe qui se mue en maquette galactique, l’œil s’égare dans les strates de cette sorte de vue en coupe, faites de plaques elles-mêmes mues par une logique qui semble aussi extraordinaire que vaine, fermée, tragicomique. Car l’esthétique de ce « planétarium » est éloignée de l’idée d’un réseau aux extensions infinies. On le voit de l’extérieur et on l’encercle. Tandis que les pièces de petite taille, dispersées au sol, sont présentées comme des « éclatés » que l’artiste augmente à l’envi, celle de « Planétarium » rappelle un « écorché », sans cesse réaménagé et enrichi par l’artiste. Sa peau se fragmente pour découvrir une nouvelle peau. Ad libitum.

De ce fait, toutes ces œuvres sont toujours gelées au moment M de leur exposition et leur auteur se réserve toujours la possibilité d’ajouter un nouveau moulage sur le précédent entre deux passages dans son atelier. Cette pratique d’épuiser les objets quotidiens rappelle celle de Jean-Jacques Dumont, lequel expose dans le proche Musée de la Dentelle de Caudry (« Quelques longueurs ») ses œuvres sans cesse percées, évidées. Chez cet artiste qui observe lui-aussi la vacuité des ballons, les objets « s’abîment » toujours un peu plus, poinçonnés à chaque exposition. Xavier Géneau envisage quant à lui, après l’apparition d’un téléviseur au-dessus du moule d’un bocal, de rajouter le moule d’un carton d’emballage et encore un autre, au rythme des expositions, ceci jusqu’à atteindre le volume d’une voiture. Cette forme de surenchère matérialise pour lui des extensions infinies, dans l’infra et le supra. Admettant la présence d’un seuil tangible, dans la mise en abîme, inhérent à l’utilisation de tels objets et techniques, ainsi qu’il admet la présence littérale d’un plafond, dicté quant à lui par les contingences matérielles de déplacement des pièces hors de l’atelier, il invoque une autre façon d’envisager les possibles que les seules limites imposées par le corps, tournant béatement autour d’une sculpture « finie ».

Comme dans les gravures de M. C. Escher, on retrouve chez Xavier Gereau l’obscurité de combinaisons impossibles qui semblent fonctionner dans leur dimension close. Cet aspect un peu artificiel, spectaculaire opère comme les décors des pièces de théâtre appelées « à machine », ancêtres des effets spéciaux. Ainsi, selon le déplacement de la parabole autour des sources lumineuses et des différents objets et liquides disposés dans le « Planétarium », des ombres opaques et des reflets irisés sont projetés sur les murs de la galerie comme autant de doubles déformés, qui nous plongent dans un schéma digne de la caverne de Platon. Le cartel nous indique que l’énergie solaire alimente les partie lumineuses du « Planétarium ». Il semble ainsi qu’à l’instar de l’atome, cette pièce soit formée autour d’un noyau (la lumière) et de la présence d’électrons caractérisés par le fait d’être en mouvement pour les uns tandis que d’autres changent de couche. Ici, les attirances électriques ont été remplacées par des attirances mécaniques : les engrenages. Le regard se perd dans ces enchaînements de causes et d’effets et en cherche le centre, le moteur. Il est paradoxalement tenté de projeter ce centre sur un petit hamster que l’on voit tourner dans sa roue en vidéo, image enfermée dans une télévision.

Dans son mouvement de rotation caractéristique, le petit rongeur serait la locomotive d’un cataclysme défrayant les lois de la physique (laquelle voulant que dans tout système, le rendement soit inférieur à 1, en raison des pertes dues aux frottements). C’est donc contre toute logique que la puissance restituée est ici largement supérieure à la puissance (supposée) de départ, celle d’un petit moulin mué par le hamster. Dans la même démesure, le diamètre de sa roue (rendu à échelle 1 par la taille du moniteur vidéo) parvient à mouvoir, au final, un système de plusieurs mètres contenant entre autres le pied d’une table ronde (rappelant par son énoncé la performance, du domaine de la voyance, consistant à « faire tourner des tables »). « Ceci n’est pas un hamster », se dit-on enfin.

Tandis que l’obstiné rongeur n’est présent que par voie de médiatisation, mimant un effet de profondeur dans le tube cathodique qui diffuse son image, de véritables poissons rouges (et leurs sosies en plastique) peuplent ce décor aux épais engrenages de bois blanc. Ils tournent, eux aussi, en rond dans un bocal rond. Des coloquintes rabougris, jadis ronds, roux, fringants, sont posés un peu plus loin, plus ou moins rapprochés de leurs moulages. Tandis que les modèles en plastique gardent avec le temps leurs couleurs et leurs formes, les agrumes et les fruits sèchent et se décomposent, afin de n’être plus identifiables à leurs doubles. La cohabitation des moulages avec leurs modèles en décomposition fonctionne ainsi comme un memento mori, souligné par l’apparition répétée de crânes ou, ultime détail inquiétant de ce bricolage par ailleurs ludique et cocasse, l’ablation systématique des nœuds du bois utilisé comme simple matériau.