Yvon Mutrel est un artiste issu de la tradition géométrique. Né en 1944 il a derrière lui une carrière déjà remplie durant laquelle il a fréquenté un certain nombre d’artistes majeurs de l’art construit. Il a été proche de Jean Legros avec qui il a travaillé. Il a aussi rencontré des artistes comme Sonia Delaunay ou Michel Seuphor (également critique d’art et théoricien de cette tendance). Comme il se doit pour un artiste qui produit régulièrement des œuvres depuis plus de 50 ans son atelier renferme des trésors parfois oubliés. Ce fut le cas pour cette série d’aquarelles de petit format (12 x 8 cm) réalisées sur papier Arches en 1978 et retrouvées lors d’un déménagement. La galerie Nery Marino expose jusqu’au 22 février cette production plastique qui n’avait pas été montrée antérieurement mais qui a servi de base à l’artiste pour certaines séries de créations réalisées ultérieurement.
C’est une exposition des plus simples : toutes les œuvres ont la même taille, la même date et presque le même titre : Aquarelle sur papier Arches, 12 x 8 cm, 1978, avec juste un très discret numéro d’ordre.La réunion de ces petites peintures sur papier est intéressante pour montrer l’énorme diversité des distributions de carrés et de rectangles sur une étendue limitée. Toutes les compositions sont organisées autour de lignes verticales et horizontales. Les figures géométriques simples se différencient par leur taille, leurs couleurs et leur distribution sur la grille implicite.
Une certaine régularité rythmique n’empêche pas la dissymétrie et la diversité de placements des figures. Cette structure latente verticale et horizontale ne tend jamais ici à évoquer une quelconque figuration : architectures, fenêtres, barreaux de prison, organisation urbaine comme le revendique Peter Halley. Yvon Mutrel est bien un artiste constructif dans la mesure où il élabore chaque œuvre comme une surface bidimensionnelle sur laquelle il génère des effets spatiaux par adjonction de figures quadrangulaires colorées. Au regard de cette série d’aquarelles où il laisse souvent apercevoir le grain du papier et respirer la couleur, on doit le considérer comme un constructif poétique, plus proche de Paul Klee que de Piet Mondrian.
Si la grille est sous jacente, comme dans l’aquarelle choisie pour le carton d’invitation, ce qui importe et retient notre œil ce sont les écarts par rapport à la rectitude de celle-ci : un décalage vers le bas de l’horizontale inférieure à droite et l’angle fin, en haut à droite, qui vient encadrer de rouge les deux rectangles verts. Ces écarts subtils mais décisifs sont propres à réjouir l’œil et l’esprit du regardeur attentif. La grille latente est essentielle pour assurer la cohésion de toute la surface du papier coloré sans qu’il y ait de chevauchements. Chaque quadrilatère de couleurs est indépendant, il tient sa place sans exercer de domination. Il arrive, mais c’est exceptionnel, qu’une forme se détache sur un fond comme dans l’œuvre où un carré rouge apparait sur un fond noir tandis que le carré blanc se détache sur une étendue verte mais leur avancée reste contenue. Dans la majorité des cas l’organisation linéaire, sans être égale, reste équilibrée.
Les variations de couleur et de taille des rectangles vont permettre d’installer de multiples dialogues de voisinage où l’un ne cherche pas à l’emporter sur les autres. Yvon Mutrel maitrise très bien ses distributions : un petit carré jaune est retenu dans le plan par une forme en T noire (Aquarelle sur papier Arches, 12 x 8 cm, 1978/ 8). Si la superficie d’un rectangle occupe presque la moitié de la surface du papier la tonalité choisie ne sera pas le rouge vermillon mais l’ocre rouge pour le maintenir dans le cadre (Aquarelle sur papier Arches, 12 x 8 cm, 1978 /5).
La grille ici est plus une méthode qu’un style ; elle favorise dans même temps la présence d’un double jeu de construction et de déconstruction. Le choix des couleurs et la qualité de la matière aquarellée évitent toute apparence décorative.
La multiplication des petites créations organisées à partir d’un système parent montre combien l’indéterminé peut être fécond. Toutes les propositions trouvent leur origine à l’intérieur du système de la peinture par delà les théories et les concepts. Voilà pourquoi il fait bon découvrir chacune de aquarelles d’Yvon Mutrel et voyager de l’une à l’autre, comme entre de multiples îles, pour notre plus grand plaisir.